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Deux dépositions des compagnes de Marguerite du Saint Sacrement

Marguerite épouse de la crèche

Deux dépositions des compagnes de Marguerite du Saint Sacrement
Extrait du livre  de Mgr Fliche, sur la vie de Marguerite.


1°- La Mère Madeleine de saint Joseph *, du couvent de Dijon, a fait la relation suivante :

. . . . Ce qui m'a paru surtout admirable dans la vie de ma très honorée sœur Marguerite du Saint-Sacrement, c'est la perfection de son état, de sa vie, et même de sa conversation, dans laquelle je n'ai jamais pu surprendre le moindre petit défaut et la plus légère imperfection, un seul instinct purement humain. Tout était en elle tellement conduit et dirigé par l'Esprit du saint Enfant Jésus, qu'il se voyait clairement que le sien lui avait cédé la place, et qu'elle s'était transformée tout entière en lui. Il était impossible de ne pas la regarder comme un chef-d’œuvre, que le saint Enfant avait voulu faire de son Enfance et de sa crèche, et dans lequel il avait si divinement imprimé son innocence, sa simplicité, sa pureté, que ces vertus subjuguaient tous ceux qui avaient la consolation de l'approcher.
Il y avait en elle tout à la fois l'innocence et la simplicité d'un petit enfant, et une sagesse extraordinaire, qui éclairait les esprits et portait soumission pour suivre son conseil, quoique l'on eût une inclination contraire! Aussi la sainteté de son état m'a-t-elle fait plus connaître la dignité et la grandeur de l'état divin et adorable de Notre-Seigneur Jésus dans son humble Enfance, que tout ce que j'en avais appris.
Le saint Enfant-Jésus avait tellement pris possession de ses sens, qu'elle ne voulait que ce qu'il voulait, n'entendait que ce qu'il permettait, ne parlait que les paroles que lui-même lui donnait. Elle ne savait ce que c'était que retour et réflexion sur son état, sur ce qui se passait en elle, et sur aucune autre chose, étant dans une heureuse impuissance de s'appliquer, ou de recevoir en elle que ce que le saint Enfant-Jésus lui présentait lui-même.
Son humilité était ravissante ; dans l'innocence de vie qu'elle menait, elle ne se voyait que comme une très grande pécheresse, et se répandait sans cesse en larmes pour ses péchés. Si elle demandait pardon aux sœurs, comme le vendredi saint, c'était toute baignée de larmes des grands manquements de charité, et des sujets de peine qu'elle disait avoir donnés, quoique véritablement elle ne fût qu'un sujet de joie parfaite dans la maison, et un exemple admirable de religion.
Sa charité était si grande, que je n'ai jamais rien vu ni ouï qui m'eût fait si bien comprendre quelque chose de l'étendue et de l'immensité de la charité de Jésus-Christ, que celle que j'ai remarquée dans cette sainte âme. Elle se chargeait d'une multitude d'âmes quasi innumérables, pour lesquelles elle était appliquée au saint Enfant-Jésus, et pour lesquelles elle faisait ses dévotions particulières en nombre infini, sans que cette multitude la tirât tant soit peu de la tranquillité parfaite dans laquelle le saint Enfant-Jésus tenait son esprit. En même temps, la grâce qu'elle répandait autour d'elle était si grande pour réjouir le cœur, et l'élever à Dieu, que la tristesse s'évanouissait sitôt qu'on était proche d'elle, de sorte qu'en quelque peine et amertume que l'on fût, l'ayant un peu conversée, quand ce n'eût été qu'en la regardant, l'on demeurait calme, en paix, et l'esprit élevé à Notre-Seigneur et vide de tout ce qui le troublait.
Cette même charité de Marguerite ne pouvait ouïr des défauts d'autrui, sous quelque prétexte que ce fût. Cela me parut dans une occasion où j'entretenais la prieure du manquement d'une personne; le saint Enfant permit qu'elle ouït contre sa coutume, ayant éprouvé plusieurs fois qu'elle n'entendait rien de ce qu'on disait devant elle, bien qu'on parlât très haut, si l'on ne s'adressait directement à elle. Elle dit aussitôt à la Mère prieure que le saint Enfant n'agréait pas que l'on parlât des manquements de cette personne, et lui fit voir ce qu'il y avait de bon en elle. C'était sa coutume, quand, par récréation même, on lui voulait faire voir quelque petit défaut en quelqu'un, de l'écarter aussitôt de l'esprit, en alléguant les vertus de la personne dont on lui parlait.
Cette charité la rendait si sensible aux intérêts et aux souffrances du prochain, qu'on ne pouvait lui faire voir une peine en autrui, pour petite qu'elle fût, qu'on ne vît aussitôt son tendre cœur ému et touché de compassion, quoique je n'aie jamais su remarquer en elle aucune sensibilité pour ce qui la regardait.
Sa mortification était extrême; son repas se composait d'ordinaire d'un peu d'oseille cuite à l'eau et au sel, et de racines au vinaigre, où jamais il n'entrait de beurre. Dans ses maladies même, elle n'usait pas de viande. Elle passait les jours et les nuits en oraison, n'ayant pas d'autre repos que celui de l'Epoux, qui nous assure que son Cœur est toujours veillant. Ainsi le cœur de cette chère petite Sœur était ouvert, même pendant les heures destinées au repos, et ses yeux, qui s'ouvraient gracieusement sitôt qu'on approchait, donnaient un parfait témoignage que son corps ne dérobait rien à son esprit.
Sa patience dans les douleurs était si extraordinaire, qu'il n'y avait douleur, si aiguë qu'elle fût, qui pût tirer une  plainte de sa bouche. Jamais elle ne parlait de ce qu'elle souffrait, et quand on l'obligeait à dire son mal, elle répondait en si peu de paroles, qu'elle témoignait bien que son application n'était qu'à souffrir purement, sans regard sur ce qu'elle souffrait. Sa douleur n'apportait pas même de changement à son égalité d'humeur, toujours également ravissante : elle ne faisait que changer la couleur de son visage ; mais Marguerite demeurait aussi calme et prête à ce qu'on désirait d'elle, que si elle n'eût éprouvé aucun mal.  Elle était si soumise et si perdue dans la divine volonté du saint Enfant, qu'elle n'avait rien de plus cher que de la suivre en tout, et elle témoignait si bien cette soumission parfaite en toutes les rencontres de sa vie, qu'il ne semblait pas qu'elle pût ressentir de difficulté à quoi que ce fût qu'on désirât d'elle. Elle avait même si grande grâce à porter les âmes à cette soumission au vouloir de Dieu, et à s'y rendre avec agrément, qu'elle faisait trouver contentement à les faire, quoique ce fût chose très pénible.  Le saint Enfant-Jésus s'était tellement plu à imprimer en elle sa divine simplicité, qu'elle ignorait absolument que l'on pût faire une feinte, ou dire une chose qui ne fût pas, à ce point que si on l'eût trompée en quoi que ce soit, et qu'on pensât à lui faire comprendre qu'elle était dans l'erreur, elle ne pouvait revenir de son étonnement.  J'étais une fois proche d'elle, la regardant  faire quelque chose pour le service de la chapelle du saint Enfant-Jésus. Elle était fort attentive à ce travail, et je vis que dans cette pieuse préoccupation, elle prenait des charbons ardents avec autant de facilité que si c'eût été des pierres ou du bois. Je l'en voulus empêcher, disant qu'elle se brûlerait ; mais elle me répondit dans une grande innocence : « Ils ne sont pas chauds ! ». Le feu matériel perdait sa force contre ce corps, en quelque sorte, tout spirituel déjà, comme le seront tous les nôtres après la sainte résurrection.  J'ai remarqué qu'elle avait aussi dans ses membres une admirable agilité ; car devant être naturellement  pesante, à cause d'une hydropisie qui la fatiguait, néanmoins, lorsqu'elle montait sur quelque chose, il semblait qu'elle y fût élevée tout-à-coup, sans qu'on pût discerner comme elle y était montée, aucun mouvement ne paraissant en ses jambes ni en son corps, pour y arriver.


2°- La sœur Marie de sainte Thérèse (sœur converse) a fait la déclaration qui suit :

. . . . Notre sœur Marguerite du Saint-Sacrement était si patiente, qu'elle ne se plaignait jamais, malgré la violence extrême de ses douleurs; elle ne nous demandait jamais rien pendant ses maladies, pas même une goutte d’eau, quelque grand besoin qu'elle en eût.
Au plus fort de l'hiver, quoique très sensible au froid, à cause de ses grandes infirmités, elle ne s'approchait jamais du feu, si on ne lui en donnait. Quelquefois on la faisait sortir du chœur pour aller se chauffer à l'infirmerie ; elle y allait  aussitôt, et lors même qu'il n'y avait pas de feu, elle se mettait devant la cheminée, comme s'il y en eût eu. L'ayant trouvée plusieurs fois, je lui demandais ce qu'elle faisait : « C'est notre mère qui m'envoie chauffer », répondit-elle. Je m'empressais alors d'allumer du feu, en admirant la simplicité d'une telle obéissance dans une âme si éclairée, et qui nous ravissait par ses lumières extraordinaires.
Pendant ses maladies, quand nous la faisions lever, elle ne demandait jamais à se recoucher, quelle que fût sa fatigue ; elle se fût tenue toute la nuit debout, si on l'y eût laissée, sans dire un mot. Quand elle était couchée, elle ne disait jamais qu'elle fût trop ou pas assez couverte, bien que la fièvre, qui ne la quittait presque jamais, lui fît subir des alternatives fréquentes de sueurs extraordinaires, et des frissons tels que rien ne pouvait la réchauffer.
Lorsqu'on l'asseyait sur son lit, elle y demeurait également sans mot dire, malgré la fatigue que lui causait bientôt cette position, malgré les frissons de la fièvre, malgré les courants d'air résultant des portes et des fenêtres qu'on pouvait quelquefois oublier de fermer. Une fois on déposa le soir sur son lit, pendant qu'elle était assise, un objet fort lourd qui l'empêchait d'étendre les jambes. On oublia de l'enlever ; notre sœur Marguerite n'en avertit pas quand il fallut la recoucher, et ce ne fut que le lendemain qu'on s'aperçut qu'elle avait passé la nuit, pressée et foulée par ce poids si importun, malgré de vives douleurs qu'elle éprouvait à une cuisse.
Il m'est arrivé plusieurs fois de voir son visage pâlir pendant que je l'habillais. Nous nous demandions quelle pouvait être la cause : et c'était une faiblesse dont elle ne nous disait rien. Sa pâleur seule la trahissait.
A quelque heure que nous lui apportions à manger, elle ne faisait jamais l'observation qu'il fût trop tôt ou tard. Que les aliments fussent froids ou chauds, fades ou mal assaisonnés, elle mangeait ce qu'on lui donnait. Etant même quelquefois sur le point de vomir, par suite de ses maux de cœur, elle dissimulait ce malaise, et s'efforçait de manger avec la même bonne grâce que si elle eût eu appétit. D'autres fois, il lui est arrivé de boire, sans mot dire encore, de l'eau gâtée. On ne pouvait deviner en elle un besoin ou une répugnance quelconque. Nous ne pouvions connaître la répulsion occasionnée par ses maux d'estomac, que quand elle rejetait ce qu'elle venait de prendre.
Elle n'était attentive qu’à la volonté ou à la voix intérieure de son divin Epoux. Ne nous suffit-il pas, disait-elle, d'être assurées d'une chose : « C'est que nous voulons aimer Dieu de tout notre cœur?... »



*
Cette religieuse était fille de Nicolas Brulard, marquis de Laborde, baron de Sombernom, etc., premier président du parlement de Bourgogne. Elle avait passé deux ans et demi au monastère de Beaune et avait écrit plusieurs cahiers des merveilles (ce sont ses expressions) qu'elle avait eu le bonheur de voir en sœur Marguerite.


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