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l'abbé Chocarne et les pèlerinages à Lourdes

L'abbé Chocarne et Mme de Blic

Lourdes

(Extrait du livre « La Congrégation des Petites Sœurs Dominicaines Garde-Malades des Pauvres »)

 

 

 

« Quand l'église traverse une crise décisive, ceux qui ont charge de la défendre sentent que le premier besoin de la situation est d’établir l'unité. Il faut se souvenir de la prière de Notre-Seigneur au moment de laisser à ses apôtres la charge de combattre et vaincre : « O mon Père, qu’ils soient un en moi, comme je suis un avec Vous »

« Unité des esprits par le renouvellement de la foi - union des cœurs par la charité - unité même physique par la force de l'association. »

 

 

(Abbé Victor Chocarne - conférence à ses filles.)

 

 

 

 

Un chef d'orchestre soucieux de l'harmonie, exerce ses musiciens avant de leur confier le thème d'un concert.

Nous étonnerons-nous si le Bon Dieu, maître de chapelle incomparable, accorde aussi les âmes appelées à servir ses dessins ?

Le curé de Saint-Nicolas, le Père Chocarne et Mme de Blic se sont connus à l'heure de la Providence ; rencontre fortuite, improvisée, leur laissant l'impression de préparer entre eux une entente durable.

Il leur reste à se mieux comprendre, à connaître la note qui leur est réservée dans le concert des œuvres, l'accent à lui donner.

Le rappel simultané à des tâches diverses cimentera leur union, accordera leur zèle, leur spiritualité…

La période où nous entrons est comme une « Ouverture » préludant à ce qui va suivre.

 

 

 

 

la manifestation de foi et d'espérance de la France

 

 

« D'où vient ce prodige d'un peuple qu'on croyait mort, et qui donne de sa vie une démonstration si éclatante ? O mon Dieu, gloire à Vous, qui avez fait ce miracle ! Honneur à Marie qui nous aime toujours ! Et vive la France, qui croit encore, qui espère et veut être sauvée ! »

(Le Père Chocarne - discours de la manifestation - 5 octobre 1872)

 

 

 

Vers Notre-Dame

 

 

Les instances de l'Abbé Bailly finirent par décider son ami à l’accompagner.

Ils se mirent en route au début d'octobre par le chemin des écoliers, en passant par l'Auvergne.

Dans la matinée du vendredi 3 octobre, ils arrivèrent à Lourdes par un temps magnifique, peu pressés de se rendre à la Grotte, où leur dévotion ne les attirait pas, - l’Abbé Chocarne offrit à son compagnon de profiter du beau soleil et d'un train en partance pour faire une excursion dans la montagne : Lux, le cirque de Gavarni… Ils reviendraient passer à Lourdes leur dimanche.

Le programme fut exécuté… Plus tard seulement, l'Abbé Victor se reprochera d'avoir préféré un instant « les beautés de la nature aux grandes scènes de l'ordre surnaturel » déroulées sur les bords du Gave.

Sans remord à cette heure, il jouit en touriste du pays splendide et le lendemain, samedi, dans l'après-midi, après avoir déposé leurs bagages à l'hôtel, les voyageurs arrivent aux roches de Massabielle. Laissons la parole à M. Chocarne :

Le premier moment de curiosité satisfait, nous nous installâmes sur un banc pour dire notre bréviaire. Pour mon compte je l'offris à toutes les intentions des personnes qui s'étaient recommandées à mes prières, et bien que très souvent distrait par les allants et venants, par des regards jetés de temps en temps sur le lieu de l'apparition, par les souvenirs de notre excursion du matin, je n'en fus pas moins très ému, et versai bien des larmes sans me rendre compte de leur cause.

Ma première prière à l'Immaculée avait été celle-ci : « très Sainte Vierge, j'ignore si vous avez fait en ce lieu les apparitions que l'on raconte, mais vous êtes pour moi, ici comme partout, la bonne Mère de mon doux Sauveur, la miséricordieuse et compatissante avocate des pauvres pêcheurs ; à ce titre, je vous adresse, pour moi et pour ceux qui me l'ont demandé, de très humbles supplications. »

Nous achetâmes quelques objets de dévotion, après quoi nous montâmes à la basilique demander l’heure à laquelle nous pourrions dire nos messes le lendemain, et nous rentrâmes à l'hôtel.

A table d'hôte, plusieurs personnes, entre autres un architecte, parlaient avec enthousiasme des merveilles de tous genres qui se passaient journellement à la Grotte. L'architecte, venu pour accompagner un pauvre ouvrier maçon, tombé d'un échafaudage en construisant une église, racontait comment la Sainte Vierge venait de le guérir instantanément de je ne sais combien de côtes blessées et autres inconvénients de ce genre. Ceci avait allumé ma curiosité.

Avant de me coucher je voulus lire une brochure de quelques pages, achetée à la Grotte, et dans laquelle les faits miraculeux de 1858 se trouvaient brièvement relatés. Ce n'était guère qu'un précis sans couleur, mais exact, il me frappa beaucoup. Je cherchai vainement des objections, elles tombaient toutes devant l'évidence et la certitude des faits. Jusqu'ici je n'avais connu les événements que vaguement et par ouï-dire. Je n'avais rien lu sur ce sujet, pas même le livre de M. Lasserre, pourtant si répandu. C'était pour moi une révélation très intéressante. Sans parti pris, j'examinai sérieusement les faits.

Je m'étais dit souvent que Lourdes ressemblait à une contrefaçon de la Salette, contrefaçon d'ailleurs maladroite et trop servilement copiée : des petits bergers d'un côté, une petite bergère de l'autre ;- la Salette, sur la pente verdoyante des Alpes Dauphinoises, la Grotte de Lourdes au penchant des Pyrénées ; - une source miraculeuse de part et d'autre ; - de part et d'autre des paroles mystérieuses et un secret. - Je me disais que Dieu dans ses miracles ne se répète pas de la sorte.

Pourtant je m'abstenais de tout jugement précipité, sachant que l'évêque de Tarbes avait examiné et porté un jugement qui, sans avoir le caractère de l'infaillibilité, commandait le respect.

La lecture de l'opuscule m'ébranla fortement ; je voyais qu'une opposition formidable avait accueilli le récit de la jeune voyante ; opposition de la part de ses parents, des autorités de la commune ; opposition de M. le curé de la paroisse lui-même, qui s'était montré le plus réservé, le plus récalcitrant, et cependant la volonté divine avait triomphé de tout. Il avait fallu, bon gré mal gré se rendre à l'évidence. Les populations de ces contrées, à la foi robuste et naïve, ne raisonnaient pas, elles venaient prier malgré tous les obstacles. Les miracles du reste, s'étaient mis de la partie dès le début, et intervenaient à tous les instants de manière à déconcerter la plus tenace incrédibilité. »

L'Abbé Victor en était là, le dimanche 5 octobre, fête du rosaire, en arrivant de bonne heure à la Grotte pour se préparer à la célébration du Saint Sacrifice.

La grâce de l'immaculée s'insinuait doucement dans son âme. Elle l’avait vaincu dès son arrivée par cet attendrissement inexpliqué… Après son cœur, sa raison allait se rendre.

Il remonta vers la basilique pour dire sa messe.

À ce moment arrivait une procession, bannières déployées. Elle sortait de Lourdes et se déroulait le long du chemin qui conduit à la Grotte.

C'était celle d'un village des environs de Toulouse. Tout en avant, la croix et les encensoirs des enfants de cœur brillaient au soleil. Les voiles blancs des jeunes filles flottaient au vent comme d’angéliques bannières ; - sur deux files, semblables à des religieuses, avec leur capulets rouges, noirs et blancs, venaient les femmes. Les hommes arrivaient les derniers, en rangs serrés et sombres, avec les prêtres derrière eux. Nous nous arrêtâmes pour contempler ce spectacle.

« Les bouffées du vent nous apportaient de temps en temps les mâles intonations du cantique des hommes, et parfois les notes aiguës des voix féminines. Je me sentais ému plus que de coutume.

La procession approchant, la prière s'accentuait. Elle sortait de ses poitrines montagnardes vibrante, ardente, pleine de force, de foi et d'espérance. Je me cachai derrière un arbre pendant qu'elle passait afin de laisser couler en liberté de douces larmes. »

L'Abbé Victor n'était pas seul ému. Regardant autour de lui, il vit plusieurs personnes pleurer également.

Un groupe surtout le frappa. C'étaient des hommes, peu dévots d'apparences qui, vaincus, ne songeaient pas à cacher leur attendrissement. On les désignera plus tard à l'Abbé Chocarne comme des journalistes aux opinions avancées.

Cette procession était donc par elle-même une prédication ? - La Sainte Vierge qui connaît le chemin des cœurs, montrait aux hommes, dans la prière publique trop oubliée, un moyen puissant de conversion.

Les orateurs les plus éloquents voient souvent leur auditoire inattentif.- Elle, la Vierge Immaculée, attirait à Dieu les populations et s'en faisait écouter.

« Mais, alors, pourquoi la France tout entière ne viendrait-elle pas, comme ces simples paysans, retremper son âme à ce fortifiant spectacle ? »

Jusqu'alors le midi avait seul répondu à l'appel de Marie. Nul pèlerinage organisé n’était venu des provinces lointaines se joindre à ceux des lieux plus rapprochés… On croyait la foi morte en France, mais la Sainte Vierge venait la ranimer…

« Pourquoi ne pas tenter de faire faire à son peuple un grand acte public ?- Pourquoi ne pas montrer dans les catholiques les plus ardents des patriotes… ? Pourquoi ne pas chercher enfin à faire revivre en tous les Français, l'espérance qui ranima à cette heure le cœur du prêtre arrivé désolé à Lourdes, et qui sent renaître en lui l'attente d'un grand avenir pour son pays… ?

« Sous la pression de ces pensées, le curé de Saint-Nicolas de Beaune alla célébrer la Sainte Messe. »

(Mme de Blic - livre d'or de la manifestation de foi et d'espérance de la France à Lourdes)

 

 

 

la pieuse distraction de l'Abbé chocarne

 

 

Un enfant de cœur - le jeune frère de Bernadette Soubirous - conduisit l'Abbé Chocarne à l'autel de Notre-Dame du Saint Rosaire, qui lui était assigné pour dire sa messe.

Il se vit « devant l'image de Saint-Dominique, son père et son patron, recevant le rosaire des mains de la Sainte Vierge… Mais à ce moment une seule pensée l'absorbait : celle de rendre à la France le courage de sa foi. Les idées semblaient jaillir en lui sans sa participation, et, la Sainte Messe achevée son plan était complet. »

Par quel enchaînement de réflexion ce plan s'est-il déroulé dans son esprit ? - Il va nous le dire lui-même :

«J’eus pendant le Saint Sacrifice une distraction un peu prolongée… La pensée que la Sainte Vierge était invoquée en ce lieu dans toutes les infirmités corporelles m'inspira le désir de la solliciter en faveur de la France, cette grande malade, arrivée à un état presque désespéré.

Ma lecture de la veille m'avait appris que les processions étaient la forme sous laquelle la Sainte Vierge désirait être honorée. Il me semblait donc qu'une grande procession de la France à Lourdes serait le moyen d'intéresser la Vierge Immaculée au salut de notre pays.

Comment organiser une procession représentant la France ?... Sous quel prétexte d'abord, et quels moyens employer pour grouper les bonnes volontés ?

Aussitôt posées, ces questions se trouvaient résolues dans mon esprit. - La France pouvait être représentée par toutes les paroisses ayant la Sainte Vierge pour patronne. Il en est dans chaque diocèse un assez grand nombre et le patronage de la Sainte Vierge est un motif suffisant pour assurer la préférence. Dix paroisses par diocèse acceptant de s'enrôler dans une croisade de prières, pourraient donner une procession de 10 000 pèlerins environ : ce n'était pas impossible à réunir et pouvait paraître suffisant.

Le prétexte de la procession serait une offrande à la chapelle de Lourdes au nom de la France,- offrande réunie au moyen d'une souscription dans chaque paroisse enrôlée. Ces souscriptions pourraient atteindre un minimum de 100 fr., et le total serait assez considérable pour nous permettre d'offrir un cadeau digne de la France. »

(Abbé Chocarne – mes opuscules)

 

« Au jour fixé, les délégués de chaque sanctuaire dédié à Marie apporteraient à la Vierge, avec leur présent, une bannière affirmant la foi de leur région… Et revenant dans leur province, ils y rapporteraient la bonne nouvelle que la France catholique s'était montrée de nouveau, attirant par sa foi toujours vive les miséricordes de Dieu, obtenues par l'entremise de sa Reine Immaculée. »

(Mme de Blic - livre d'or de la manifestation)

L’Abbé Chocarne continue :

« Toutes ces choses furent pensées et combinées en moins de temps que je n’en mets à les écrire. Me sentais-je inspiré d'en haut ? Pas au moins du monde : je croyais à une pieuse distraction ; rien de plus…

Je ne m'en rendis même pas compte pendant la messe ; après seulement j’en eu quelques scrupules ne sachant pas si j'avais bien ou mal fait de m'y abandonner.- Il me semblait pourtant que le but était assez élevé, la pensée assez grande pour excuser en partie - sinon peut-être tout à fait - la distraction remarquée. J'avais conscience d'être dans un bon courant dont le Bon Dieu ne pouvait s’offenser.

C'est sous cette forme, à la fois rudimentaire et complète dans ses lignes principales, que fut conçue la manifestation… »

« On a son rayon lumineux dans la vie » a dit un penseur : Lourdes est le mien. Jusqu'au moment de la messe, il n'y avait pas eu dans mon esprit la plus légère trace de ses pensées, je puis le dire en toute sincérité. Elles s'étaient présentées d'elles-mêmes, et avaient reçu leur formule avec une extrême simplicité qui m'étonne moi-même car je n'ai pas l'habitude de combiner de grandes choses.

En sortant de la chapelle, j'avais hâte de dire mon idée à mon compagnon de voyage, l'Abbé Bailly, qui m'attendait non loin du portail… Il en fut vivement frappé et me pressa de la soumettre tout de suite au supérieur des missionnaires, le vénérable Abbé Sempé.

Je demandai à réfléchir, avant de s'embarquer dans une entreprise aussi considérable, il me semblait bon de peser à loisir le pour et le contre. L'Abbé ne fut pas de cet avis, et me prenant sous le bras, il m'entraîna presque de force, dans la cellule du Supérieur.

- Alors, tu prendras toi-même la parole, dis-je en me laissant faire ?

- Oui, volontiers !

- Et, nous ne nous engagerons pas immédiatement ?

- Nous exposerons seulement ton idée.

- Et s'il fallait l’exécuter, tu me viendrais en aide ?

- Sûrement.

C'est ainsi que la providence me forçait la main. Si j'avais été seul, j'aurais gardé mon idée dans le secret de mon cœur ; - si même l'Abbé Bailly m’eût laissé une demie heure de réflexion, je n'aurais jamais accepté d'entrer en pourparlers avec Monsieur le Supérieur sur ce sujet… Mais déjà nous étions devant lui.

L'Abbé exposa l'affaire, - moi gardant le silence, et comprenant trop tard à quoi je m'exposais.

Le révérend père Sempé avait écouté avec intérêt. Je fis observer que j'avais souvent de ses idées chimériques, auxquelles je n'attachais pas la moindre importance. Il m'interrompit :

Ce n'est pas du tout chimérique. Je ne dis pas que ce sera facile, mais si la Sainte Vierge le veut, la chose se fera, je vous l'assure ; elle en a fait réussir bien d'autres !-Voici ce que je vous propose. J'écrirai si vous y consentez à Mgr de Tarbes, que ce projet concerne avant tout. Si nous obtenons son adhésion je vous en donnerai avis et vous vous mettrez à l'œuvre. Vous ne devez pas hésiter, car la Sainte Vierge sera avec vous… »

-« Pour le cadeau à faire à Lourdes au nom de la France, nous avions parlé des cloches à mettre dans la flèche élégante, à peine terminée. Les cloches étaient promises par un personnage important de la localité !-Mais nous pouvions offrir autre chose.

« Si nous ne pouvons donner la voix du ciel, » dit l’Abbé Bailly, nous donnerons la voix de la terre : - nous donnerons les orgues ! - Et nous partîmes là-dessus. »

« Je l'avoue, j'espérais à ce moment que l'évêque de Tarbes répondrait à mon projet par une fin de non-recevoir. Un pauvre curé et un simple vicaire n'avaient pas qualité pour entreprendre une affaire de cette importance, dont la réussite exigeait le concours effectif de tous les évêques de France… Cela me rassurait un peu, et dans la soirée, écrivant à ma mère pour lui donner des nouvelles, je lui parlai de « mon idée » sur un ton mi- plaisant, mi- sérieux, sans dire au juste de quoi il s'agissait… »

- Cette lettre elle-même devait être dans le jeu la Providence un facteur de première importance. Mme Chocarne l’a reçue pendant une visite de Mme de Blic, à qui elle en donna lecture. La châtelaine de Pernand en fut très intriguée.

…Les voyageurs revinrent à Beaune après un dernier pèlerinage à la Vierge de Bétharram, qui parut les encourager de son gracieux sourire…

« Elle tenait évidemment à ne point paraître jalouse,» note la relation du curé…

Il espérait encore un refus de l'évêque de Tarbes… Très peu de jours après son retour, une lettre du révérend père Sempé lui apportait au contraire l’adhésion empressée de Mgr Pichenot, à laquelle le supérieur des missionnaires ajoutait les encouragements les plus pressants.

-Monseigneur Rivet ; évêque de Dijon, était à Beaune ce jour-là. Courageusement, l'Abbé Chocarne alla lui exposer son projet, et le prier de bien vouloir accepter la présidence du comité qu'on changerait de son exécution.

Le vicaire général chargé de recevoir les visiteurs pour les introduire auprès de Mgr écouta le premier son histoire, et lui fit entendre que jamais l'évêque ne courrait le risque d'un échec en se mettant à la tête d'un comité dont un de ses prêtres avait eu l'idée.

« Croyez-moi, insista le grand vicaire, n'en parlez pas même à Mgr tout de suite, agissez de votre propre initiative en essayant de lancer l'idée. »

L'Abbé Chocarne, assez effrayé, n’entrevit qu'une solution : constituer un comité de dames et lui confier son plan : une tentative de ce genre ne compromet personne et les évêques peuvent toujours honorablement s’y rallier en cas de réussite.

 

 

…………………………………………………

 

 

Le 14 octobre, anniversaire de naissance de Mme de Blic, le curé de Saint-Nicolas, invité par la baronne de Gravier au dîner de famille à Pernand, y trouva Mlle Philosophoff auprès de son amie.

Dans la soirée, Mme de Blic demanda curieusement à l’Abbé Chocarne quelle était l'idée dont il avait parlé à sa mère dans une lettre de Lourdes arrivée et lue devant elle… ? Le curé, toujours préoccupé de son projet, raconta sa « pieuse distraction » et parla d'un comité de dames à constituer pour son exécution. « Si vous vous en chargiez, conclut-il, nous réussirions. »

De l'aveu de Mme de Blic, la proposition n’eut pas de succès : « Je n'étais pas attirée par l'idée de l’Abbé que je trouvais belle, mais peu pratique et devant soulever bien des difficultés… Je lui répondis que mon mari n'aime pas me voir mettre en avant de la sorte, mon père y verrait aussi bien des complications possibles…

- À mon grand étonnement, mon père et mon mari présents à l'entretien, déclarèrent ne pas s'opposer à ce qui m’était demandé. Ma mère me promit son aide ; et Adine Philosophoff, peu préparée, me semble-t-il, à comprendre cette œuvre, me décida en me disant :

- Vous cherchez ce que vous pouvez faire pour Dieu ; le voilà ! »

« Je sentis en moi un grand effondrement. En un instant, j'entrevis les difficultés, même politiques, d’une telle entreprise, le ridicule qui pourrait me couvrir vis-à-vis des gens que j'aimais et dont je désirais l'estime… Je fis un grand acte d'abandon et je dis au curé :

- Mon cher ami, je crois que vous ne vous rendez pas compte des difficultés de cette affaire… ; Mais j'accepte, - à la seule condition que je décide de tout. Je vous consulterai, mais je ferai ce que je voudrai !

Le curé répondit que, bien entendu, il n’imposerait rien, et je promis »

(Relation de Mme de Blic à Mme de Waru)

 

Le plan divin se déroule à merveille !

Pour attirer la France à ses pieds, la Vierge agit sur un humble prêtre, sans relations, sans influence, capable seulement de comprendre la grandeur du dessin surnaturel révélé à son âme. Entre ses mains, aucun moyen de remplir une telle mission ; la lui confier, c'est humainement préparer sa ruine… Une telle pauvreté d'instruments est la signature de Dieu sur ses œuvres.

Un concours de circonstances providentielles désigne à l'Abbé Chocarne la coopératrice prédestinée à seconder sa faiblesse.

Entrevoyant d'un coup d'œil les difficultés de la tâche, celle-ci accepte néanmoins « dans un grand acte d'abandon» en exigeant du curé une humilité qu’il est trop heureux de promettre.

Sur le terrain déblayé des vanités humaines par ce double renoncement, la Vierge peut faire son miracle : Mme de Blic agira sous son influence, avec une sûreté méritant presque le nom d'inspiration ?

 

 

 

Modeste enfantement d'une grande œuvre

 

 

Les hôtes de Pernand et le curé de Saint-Nicolas formèrent, avec le Père Chocarne, sans qui on ne voulait rien faire, le premier « comité d'initiative. »

« On se mit au travail… Il fallut s'entendre, se comprendre ; ce fut l'affaire d'un mois au moins »

(Relation de Mme de Blic)

 

Il fut décidé que Mme de Blic demanderait à ses amis de constituer un comité directeur dont elle serait la secrétaire, obtenant des personnes qui lui confiaient leur nom de pouvoir agir avec son Comité d'Initiative sans les consulter... La Sainte Vierge fit réussir ainsi par les plus simples moyens le premier grand acte de foi public de la France après ses malheurs.

La marquise de Mac-Mahon, née de Castries, accepta la présidence du comité, son oncle était à la tête du gouvernement…

« Nous écrivions à une personne de connaissances dans chaque département, explique Mme de Blic. » - Le comité envoya dans toute la France aux confréries, églises ou chapelles dédiées à la Sainte Vierge, et à toutes les dames patronnesses trouvées dans chaque département, des circulaires faisant connaître le but de l'œuvre, et demandant des adhésions ; la première circulaire lancée est datée du 8 décembre 1871, fête de l'Immaculée Conception.

Spes nostra, Salve… dit l'épigraphe. Elle est l'acte de foi de la France dans sa divine Reine. Rédigée tout entière par l'Abbé Chocarne, elle expose l'inspiration reçue de Notre-Dame, et dont il doit compte à son peuple.

Ce ne fut pas une petite affaire, poursuit Mme de Blic, d'expliquer à chacun ce que nous voulions, les adhésions, les bannières, les délégués… J'écrivis aux 81 évêques de France pour demander leur bénédiction sur l'œuvre, afin de ne pas trouver d'opposition dans les diocèses. 26 évêques me répondirent en approuvant. Je m'entendis avec Mgr de Tarbes, le curé Peyramale et le père Sempé… Puis nous envoyâmes des circulaires, des bulletins d'adhésion et de foi à l'Apparition de Lourdes.

Chaque église au sanctuaire avait le droit d'apporter une bannière à son nom, en donnant une somme de 100 fr. ; - on demandait 10 centimes par adhésion individuelle et nous promettions de donner les orgues à la chapelle (non encore basilique) de Lourdes...

Nous avons ainsi obtenu 120 000 fr. et 320 bannières.

Mais quel ouvrage ! -Cela dura un an… Nous avons dépensé 4000 fr. de timbres, presque tous de centimes. Le facteur de Pernand apportant 60 000 fr. par petites sommes ! - Tout le monde commençait par dire que nous ne réussirions pas… Puis on essayait ; on trouvait le résultat petit ; mais le total était bien gros !

J'ai vu là combien il faut être persévérant dans ses entreprises et ce que produisent des forces minimes bien unies.

Je fus obligée de tout organiser : la date de la manifestation, l'ordre des cérémonies, mais je ne m'occupai pas des trains, sauf pour envoyer à Lourdes de jeunes gens du patronage des dominicains de Paris, chargés de la police du pèlerinage. »

A l'insu de Mme de Blic, cette préparation, à laquelle tous les visiteurs collaborent à Pernand, est un apprentissage : la fondatrice future de petites sœurs dominicaines s'y entraîne à l’effort persévérant. L'Abbé Chocarne lui apporte son concours journalier, représentant à lui seul « le Comité » appelé à couvrir les initiatives de cette femme intrépide. Ainsi se noue entre eux, sous l'égide et à l'honneur de la Vierge Immaculée, une amitié indestructible, dont l'œuvre apostolique de Beaune sera le fruit.

Les relations de Mme de Blic éveillaient des concours, des commentaires dans les plus nobles sphères, et dans la mesure où il sortait de l'ombre, le projet de la manifestation était très discuté. L'ennemi s'en emparait.

« Les journaux rouges faisaient des articles contre nous, poursuit la narratrice, en disant que les châteaux avaient organisé très bien une œuvre cléricale stupide »… (Relation)

Son éminence le cardinal Pitra, en ayant eu connaissance, en informa le Pape, à qui l'Esprit Saint avait déjà inspiré la pensée de faire revivre dans l'église les grands pèlerinages. Les évêques, sollicités de prendre la tête d'un mouvement dans ce but, s'étaient dérobés craignant de n'être pas suivis. Et voici qu'un humble prêtre, une simple chrétienne, prenaient cette initiative effrayante pour des princes de l'église !

L'approbation du pape ne se fit pas attendre. Le 9 mars, fête de Sainte Françoise Romaine, patronne des femmes chrétiennes, Pie IX envoyait spontanément un don de 100 fr. avec sa bénédiction, au comité de l'œuvre, par l'entremise du cardinal Pitra.

Cette lettre connue et propagée par une nouvelle circulaire, excita partout le zèle, l'émulation. Rome ayant parlé, la France chrétienne s’ébranla. Les semaines religieuses diocésaines, les grands journaux, annonçaient en termes sympathiques la manifestation. Les sanctuaires de France les plus vénérés promettaient d'envoyer à Lourdes bannières et délégués en témoignage de leur confiance en la Vierge Immaculée.

La ville de Lourdes n'étant pas organisée à cette époque pour accueillir des foules importantes, il avait fallu, pour assurer à tous les fils de France une audience de leur Reine, égrener les pèlerinages tout le long de l'année. Le premier eut lieu le 31 mai, jour de la Fête-Dieu, c'était l'avant-garde d'une interminable procession dont le flot roule toujours…

Le 25 août, fête de saint Louis, roi de France, Pie IX envoyait encore aux pèlerins sa bénédiction enrichie des plus précieuses indulgences.

 

 

La manifestation de 1872 - œuvre dominicaine

 

 

En se montrant à Bernadette Soubirous un chapelet au bras, la Vierge ramenait le rosaire aux lieux où, jadis elle avait révélé à Saint-Dominique cette arme de propagande et de combat… L'unité d'inspiration - cachet des œuvres divines - exigeait peut-être que la lignée du grand prêcheur se vit confier le retour de la France à Marie, Reine du Saint Rosaire.

De fait, Notre-Dame de Lourdes avait confié son secret à un tertiaire de l'ordre, l'Abbé Chocarne, si étroitement uni à son frère qu’en s’adressant à lui, la Vierge équivalemment, s’adressait à son frère, le chef de la province dominicaine de France.

L'Abbé Victor a besoin d'un auxiliaire dans sa mission. Désigné pour ce rôle Mme de Blic, dominicaine de cœur, demande à contracter des liens plus étroits avec l'ordre. Le père Chocarne, sollicité en ce sens, désireux de donner à cette vocation des assises profondes, l’exhorte d'abord à faire « son postulat » en demandant au Bon Dieu « d'être une vraie fille de la pénitence de Saint-Dominique » (lettre du 12 septembre 1871)

Il promit enfin de la recevoir à l'habit à l'occasion d'une visite à Beaune. Mme de Blic se sentant dominicaine à la vie et à la mort s'étonne de devoir suivre la voie des hésitants : son père spirituel ne la recevra-t-il vraiment que « novice » !…

Ce lien suffit pour établir la filiation, et faire de l'entreprise de l'Abbé Victor et de Mme de Blic une œuvre authentiquement dominicaine. Aussi le Père Chocarne raille-t-il les impatiences de sa fille : « Voyez-vous… Comment si je ne vous recevrai que novice ?… Voyez un peu la présomptueuse ! Eh mais sans doute, que novice ! « Et encore» (lettre de novembre 1871)

Le 13 novembre 1871, dans la vieille église Saint-Nicolas - le petit fief de Notre-Dame - le Père Chocarne, sa messe dite à l'autel de la Vierge, donna à Mme de Blic la ceinture de l'Ordre avec le nom de « sœur Dominica ».

Personne dans l'église habituellement déserte, où l'Abbé Victor, unique témoin de la cérémonie, représente, entre l'officiant et la novice, la famille dominicaine accueillant une nouvelle fille.

Mais les élus de cette famille entouraient d’une invisible présence le trio d'âmes ferventes qui poursuivront désormais l'apostolat de l'Ordre sous la bénédiction de Notre-Dame.

La nouvelle dominicaine à peine rentrée à Pernand écrit sur son carnet intime une ligne, engagement et programme à la fois « Dominica pour toujours ! »

Elle tiendra parole !

…Depuis le début, le Père chocarne était le membre le plus influent du « Comité d'Initiative de la France à Lourdes» et rien ne se faisait sans son assentiment. Son tact, son expérience des milieux religieux préservait l'entreprise de tous les faux pas… Mais tout en l'approuvant, la dirigeant de loin, il se rendait imparfaitement compte de son importance. Les documents de l'époque nous le montrent dépassé de jour en jour par un vouloir de miséricorde et d'amour à la mesure du cœur de Notre-Dame...

En acceptant, pour lui et pour ses fils, de porter la parole à la cérémonie préparée à Lourdes, il a d'abord félicité Mme de Blic dans les termes où il aurait complimenté toute femme d’œuvres d'une réussite quelconque.

Mais à l'approche de la manifestation, de sourdes commotions ébranlent les âmes comme un volcan prêt à exploser.

« Quand la Providence veut qu'une idée ébranle le monde, elle l’allume dans l'âme d'un Français « a dit Lamartine, cité d'ailleurs par Mme de Blic. - Lourdes, salut de la France, devait révéler aux peuples catholiques les grâces ineffables de la prière publique organisée… Le Père Chocarne ne peut méconnaître la sève surnaturelle en puissance dans ces résultats grandissants… Au mois d'août, il mande à Paris le curé de Saint-Nicolas pour aider les dominicains à former, avec le clergé de Notre-Dame des Victoires un sous-comité pour la meilleure organisation du pèlerinage ; dans chaque ville importante de France, d'autres sous-comités s'organisent aussi dans le même but… Une réussite aussi complète est presque un miracle, et la correspondance du Père Chocarne le confesse insensiblement ; « Je suis bien heureux du succès, écrit-il à Mme de Blic. Heureux pour vous et votre excellente Mère qui aurez tant travaillé, pour mon frère, pour l'Ordre et pour la France. Pendant que vous vous fatiguez à écrire des lettres, la Sainte Vierge travaille pour vous ! N'en doutez pas : j'en suis sûr ! »

Le 25 août, fête de Saint-Louis, Roi de France, Pie IX envoie aux pèlerins la bénédiction apostolique et l'indulgence plénière, promettant mieux encore pour l'année suivante : « Chère thaumaturge, il est clair en effet que le pèlerinage de la France à la Sainte Vierge, n'en est qu'à son début, s’écrie le Père Chocarne à qui cette lettre est communiquée : gloire au comité ! (30 août 1871)

Il donne un secrétaire au prêtre chargé du sous-comité de Paris qu'il voit débordé, désigne un dominicain pour prêcher à Massabielle la retraite préparatoire à la manifestation, décide l'envoi à Lourdes du rédacteur de l'Année Dominicaine comme historiographe des cérémonies.

Mais il s'étonne encore de voir les Missionnaires parler de préparer 40 000 lits pour les pèlerins. « J'ai peine à y croire, objecte-t-il… Nous verrons bien. En tout cas, la Sainte Vierge s'en mêle et cela devient une œuvre qui sauvera la France, c'est sur… »

Ému à son tour, il demande à tous les Pères de la Province, leur messe du 6 octobre pour le pèlerinage et à ses intentions et s'écrie : « prions bien, c'est sérieux » (à Mme de Blic-25 septembre 1872)

La vaillante femme qui a suivi au jour le jour, les doutes, les émerveillements progressifs du Père accueille sans surprise cette amende honorable. « C'est sérieux…-Je m’en étais doutée. » Note simplement son carnet…

On était à la veille de la manifestation, et celle-ci s'avérait trop visiblement l'œuvre de Marie pour qu'on ne cherchât pas uniquement au ciel les concours encore nécessaires.

Le Comité décida, comme ultime préparation, une neuvaine de pèlerinages. Il la commencerait à Fontaine-les-Dijon au berceau de Saint-Bernard, le dévot de la Vierge, patron de Bernadette la voyante ; - la continuerait à Notre-Dame de Fourvière, et, le Père Chocarne ne pouvant s'absenter longtemps à un tel moment, pas plus que Mme de Blic, l'Abbé Victor au nom de tous, poursuivrait le voyage au pays de Saint-Dominique dans les principaux sanctuaires de l'Espagne.

La manifestation était fixée au dimanche 6 octobre, fête du rosaire. Les neuf jours précédant cette fête, devaient être spécialement des journées de prière et de récollection. Le Révérend Père Millon des frères prêcheurs fut chargé d'éclairer et de soutenir la foi des pèlerins dans une série de prédications très goûtées…

La ville de Lourdes préparait des fêtes somptueuses. Il appartenait au Comité de Pernand de mettre sur place la dernière main à l'organisation, mûrie en de longs mois d'efforts. Il avait envoyé de toutes parts l'étincelle sans être sûr que la flamme se fut bien propagée, et Mme de Blic confessait une vague inquiétude : « une active correspondance m'avait mise en face des personnes et des choses dont l'existence m'apparaissait comme un rêve. Allais-je trouver des déboires, ou suffirais-je à l'attente de l'œuvre ?

Quoique bien soutenue par mes parents et mon mari vis-à-vis du monde, par le Père Chocarne et le curé de Saint-Nicolas devant Dieu, j'avais conscience d'aller à l'inconnu… »

Ayant sollicité et reçu avant de partir la chaude bénédiction de son évêque, le moment venu elle quitte la Bourgogne avec son mari, ses parents… Trois jours d'un fatigant voyage en voiture découverte, et l’on atteint la cité mariale à la fin de septembre, vers 6 heures du soir : « Lourdes ! La vie semblait reculer devant nous, narre la voyageuse, et je me demandais s’il avait jamais existé un lieu de ce nom. Le cocher nous annonce enfin son approche. Nous tournons une montagne et nous voyons se profiler, de l'autre côté de la vallée, un spectacle inouï : une forme blanche ressemblant à l'apparition d'une belle et svelte église, semblait suspendue entre ciel et terre, entourée de lumières posées à sa base comme un demi-cercle éblouissant… Au-dessous dans la région terrestre, une Grotte également lumineuse, avec une blanche statue, devant laquelle brûlait un bouquet de lumières… Des centaines d'autres flammes faisaient à ce tableau un soubassement se mouvant avec lenteur… A ce spectacle, nous faisons arrêter la voiture pour entendre des voix pleines et sonores chanter la strophe de l’Ave maris stella : «Solve vincla reis. »

Quelle arrivée pour de pauvres gens ne croyant guère à eux-mêmes, et qui venaient précisément adresser cette prière à la Vierge : « brisez les fers des coupables, donnez la lumière aux aveugles, éloignez les maux, obtenez-nous tous les biens » ! - C'était bien cela que la France venait demander…

Émus et transportés, nous entrons à Lourdes, et, descendus de voiture, nous allons rejoindre cette procession, qui était celle de l'Anjou… À notre arrivée, on chantait le Magnificat et cette strophe : «dispersit superbos mente cordis sui… et exaltavit humiles. » (Relation de l'arrivée à Lourdes)

Monsieur de Blic ayant vu de si près l'humble effort du Comité fut saisi par le sens des mots qui semblaient un salut à sa courageuse femme, et le lui fit remarquer. « C'est ainsi que je vis pour la première fois le lieu où la Sainte Vierge apparut à Bernadette, continue Mme de Blic.

Toute crainte s'évanouit en moi, et je crus en notre œuvre. C'était bien la volonté de la Sainte Vierge… Je ne priais pas ; je vivais… Voilà mon impression exacte… »(Ibidem)

Elle entendit avec recueillement une messe célébrée à la crypte… Puis une excellente instruction du R.P. Millon, encore inconnu pour elle… La Vierge lui devint intensément présente dans le souvenir des efforts du Comité de Pernand pour procurer sa gloire. Du moins était-elle contente… ? Dans la naïveté de sa foi, Mme de Blic implora de cette Immaculée tant louée, tant priée, un témoignage de maternelle satisfaction.

Que se passa-t-il alors… ? Les célestes réponses trouvent difficilement dans le langage humain leur expression adéquate. Si plus tard dans l'intimité, Mme de Blic faisait allusion à ce fait, elle évoquait discrètement un bloc lumineux tombant devant elle…

Son carnet s'exprime plus mystérieusement encore.

« Qu'était-ce ? J'ai cru qu'à droite de moi, en face, la grâce tombait du ciel en terre, non sur moi… Jamais je n'ai rien éprouvé de semblable, sauf de voir tomber la foudre… Mais là, on ne voyait rien…

J'eus cette impression sans être pour cela plus recueillie qu'à l'ordinaire. J'avais tant à penser et à prévoir que mes idées personnelles demeuraient fugitives : je priais Notre Seigneur et Notre-Dame de ne rien me laisser oublier, et je ne repoussais pas des distractions qui étaient mon ouvrage chaque jour.

À ce moment un homme estropié était guéri à la Grotte !

Sans le savoir je fus poussée à y descendre. Ma première idée en y arrivant fut de m'approcher le plus possible du lieu de l'apparition… Je m'appuyai sur le rocher pour y faire ma prière de toute mon âme, demandant à la Sainte Vierge que son œuvre fût accomplie et la France sauvée... Malgré la vivacité de mon impression personnelle, J’en fus distraite par l'émotion sentie dans mon entourage. On se poussait, on montait pour regarder dans la Grotte, un homme en habit gris, à genoux dans le fond. Il venait d'être guéri miraculeusement.

C'était un maçon du dernier village angevin, près de Nantes. Tombé dans une carrière, cinq ans auparavant, il s'était cassé la boîte osseuse de la tête du fémur, sa jambe tombait inerte et les médecins l'avaient reconnu incurable… Il était venu de l'Anjou avec son curé, qui avait passé la nuit à la Grotte à prier pour lui. De grand matin, ce jeune homme après avoir communié, était descendu une dernière fois à la Grotte sur ses béquilles pendant qu'on célébrait à la chapelle la messe de son pèlerinage précédent le départ. Pendant cette messe - tandis que j'étais dans la crypte, il avait senti ses os craquer, et s'était levé seul, s'appuyant sur sa jambe sans mouvement. Dans son émotion, il s'était retourné, criant ; « je suis guéri ! Ah, priez que je sois aussi converti ! » - Il est tombé à genoux, et la foule avait entonné le Magnificat, qui s'achevait lors de son arrivée à la Grotte… Écoutant ce récit, le souvenir de l'impression éprouvée à la crypte au moment où la grâce était descendue sur le miraculé me vint très vif à l’instant même…Puis, distraite par les évènements, je n'y pensai plus, sinon longtemps après mon retour à Pernand. Mais je crois bien ne pas m'être trompée. » (Relation et carnets intimes)

Comment s'étonner de l'oubli si l'on pense à toute la besogne incombant en ces jours à Mme de Blic ?-Chambres à retenir pour les arrivants, personnages à recevoir, à satisfaire, signatures à donner, cartes privilégiées à distribuer aux délégués des divers sanctuaires, tout ce qu'implique une organisation énorme, où les désordres possibles doivent être prévus pour être évités…

L'arrivée incessante de nouveaux pèlerins compliquant sa besogne, la pauvre femme, malgré le dévouement des siens, sentait les responsabilités s'alourdir… Enfin, le mardi 1er octobre, le curé de Saint-Nicolas arrivait d'Espagne.

Ce fut un joyeux revoir : la réalité dépassait tellement l'espérance où le Comité s'était entretenu aux heures laborieuses de Pernand !

Dès son arrivée dans la ville en fête, l'Abbé Victor en avait eu la certitude et l’a noté : « jusque-là nous espérions sans doute, mais nous craignions un peu… L'hésitation n'était plus possible : homme de peu de foi ! Pourquoi as-tu douté ?…

Les pèlerins arrivaient en foule à la gare de Lourdes encombrée de trains se succédant sans interruption. L'enthousiasme était visible, un bonheur céleste rayonnait sur les visages. On se souriait sans se connaître ; on s’abordait pour échanger les effusions de sa joie, de sa reconnaissance : images passagères hélas ! De la primitive église où régnait le «cor unum et anima una »…

À peine réunis les promoteurs de la manifestation éprouvaient le besoin de se présenter au vénérable curé de Lourdes.

Intéressé par ce pèlerinage de la France aux allures déjà triomphales, M. Peyramale se fait raconter ses origines par l'Abbé Chocarne. Il regarde surtout avec une sorte d'admiration cette femme du monde, cheville ouvrière d'une telle œuvre.

Comment avez-vous fait ? Lui dit-il brusquement

- Nous avons eu confiance, et nous avons écrit beaucoup de lettres. Le Bon Dieu a fait le reste.

- Et vous, Monsieur le curé, aviez-vous aussi confiance en votre idée ?

- Hélas non ! Jusqu'à ces derniers jours, je suis resté fort perplexe quant au résultat final.

- Et maintenant ?

- Maintenant je suis confondu, et voudrais me répandre en actions de grâces. Mais je crains encore que des méchants ne troublent la fête. » (Abbé Chocarne-mes opuscules)

On appréhendait en effet des manœuvres politiques pour accaparer au profit d'un parti ce grand mouvement religieux. Par ordre du Gouvernement, 40 gendarmes et une compagnie d'artilleurs, casernés à la citadelle, se tenaient prêts à intervenir le cas échéant… Les lourdais jaloux de la gloire de leur petite cité, avaient promis au digne curé de leur prêter main forte s'il le fallait : l'Abbé Peyramale en donna l'assurance à ses visiteurs.

« D'ailleurs, ajouta-t-il, la Sainte Vierge est là : Elle n'a pas besoin de la police ! »

Le Comité rasséréné se remit à sa besogne. Mme de Gravier, trésorière, suffisait à peine à inscrire les dons des pèlerins, pièces d'or, billets de banque, affluant sur la table du salon de l'hôtel.

Partout on déballait fiévreusement les superbes bannières des délégations. Devant ces œuvres d'art, l'Abbé Chocarne ne pouvait se défendre d'un mouvement de fierté naïve : quelle transformation avait subi son idée de pauvres oriflammes, signes de ralliement des groupes ! !

À la veille des fêtes, l'enthousiasme allait croissant, malgré le mauvais temps installé à Lourdes depuis plusieurs jours.

Saturés de pluie, les arcs de triomphe de verdure pendaient lamentablement et pour se rendre aux offices de la Neuvaine, les pèlerins enfonçaient jusqu'aux chevilles dans les chemins détrempés. La soirée du vendredi 4 s’acheva dans une véritable tempête et rencontrant Mme de Blic, le visage irradié par sa joie intérieure, le Père Chocarne qui venait d'arriver, lui montra d'un geste navré les nuages sombres encerclant l'horizon : si les orages persistaient où logerait-on les foules attendues, pour lesquelles aucun abri n’était prévu ? Elle eut cette magnifique riposte :

- « Qu'est-ce que cela fait si demain nous avons le soleil ? - Et nous l'aurons.» C'était la foi, faiseuse de miracles : le dernier mot lui est assuré.-

Au matin du samedi 5 octobre, l'horizon s'est débarrassé des nuages si menaçants de la veille ; le vent de la nuit a desséché les routes sillonnées de pèlerins, un soleil encore pâle boit l'humidité de la prairie où vont se chanter les premières Vêpres du rosaire.

À deux heures, les pèlerins se réunissent à la Grotte, et la récitation du rosaire pour la France inaugure les fêtes.

Nos Seigneurs Pichenot, évêque de Tarbes, de Langalerie, archevêque d'Auch, les évêques de Luçon, d'Agen, de Mende assistent à la cérémonie d'ouverture, avec tous les délégués présents dans la ville.

On se forme en procession pour se rendre dans la prairie où une immense estrade est élevée, surmontée d'un autel.

Après la récitation des Vêpres, le Révérend Père Chocarne, provincial des frères prêcheurs de la province de France, gravit les degrés de l’autel s'avance au bord de l'estrade et d’une parole, claire, émue, vibrante, explique à plus de 8000 auditeurs suspendus à ses lèvres, l'importance et la signification de la manifestation.

Secoué d'une émotion qu'il ne peut contenir, il s'écrie :

« Le salut de la France est entre nos mains. Dieu nous l'offre, - à la condition que nous y travaillerons. Marie nous regarde et nous sourit. Comme autrefois son Divin Fils avant de rendre la santé aux malades, elle nous dit : « croyez-vous que je puisse vous guérir ?… Voulez-vous être guéris ?… En son nom je vous adjure : croyez-vous ? Voulez-vous être guéris ? Dites-le voulez-vous ?…

Des cris montent de toutes parts répondant par un oui enthousiaste à l'élan de l'orateur.

Tous se regardent, unis dans un même souffle d'amour, croyant à la résurrection de la foi en France par l'intercession de la Vierge, qui rend l'énergie à ses enfants.

Le soir du même jour arrivent à lourdes, pour assister aux fêtes du lendemain, nos Seigneurs Espivent, évêque de Montauban, de la Bouillerie, évêque de Carcassonne et un prélat espagnol. » (Livre d'or)

Les fêtes s'inaugurèrent par ce premier acte, riche de promesses.

« Toute la nuit est à Dieu. La Grotte de Massabielle et la chapelle ne désemplissent pas. Dès minuit, les messes commencent et les 35 autels prévus ne suffisent pas, il s’en improvise de toutes parts en plein air pour la célébration des mystères.» (Mes opuscules)

Au petit jour, l'Abbé Chocarne a dit sa messe à la Grotte réservée aux évêques et vicaires généraux : une exception a paru s'imposer pour le Promoteur de la Manifestation.

L'année précédente à pareil jour, la pensée lui en fut inspirée à l'autel du rosaire. Ce n'était pas une illusion, puisque l'idée s'est réalisée suivant le plan conçu devant la Vierge. Sa messe d'aujourd'hui est un sacrifice d'action de grâces, et son âme défaille dans l'intensité de la reconnaissance…

 

 

L'apothéose

 

Le 6 octobre, le jour s'est levé radieux. Les premières neiges couvrent les hautes montagnes, la verdure semble plus fraîche et les Pyrénées ont revêtu l'aspect de leurs plus beaux jours, pour fêter, elles aussi, la manifestation de foi et d'espérance.

À dix heures, la grand-messe célébrée dans la prairie par Mgr de la Bouillerie, est chantée par la foule. Le credo entonné à l'autel et continué par cette multitude paraît l'acte de foi demandé par Dieu en réparation des incrédulités de notre peuple. La bénédiction papale est donnée par Mgr de Tarbes, qui vient de prononcer sur la fête du rosaire une allocution merveilleusement adaptée à la circonstance.

Lourdes attend, frémissante, la grande Manifestation de la France, prête à se dérouler sous le patronage du vénérable Abbé Peyramale, de l'église paroissiale à la prairie le long du gave. Vers une heure l'après-midi les portes de l'église s’ouvrent et les bannières paraissent.

Le Suisse de Notre-Dame-des-Victoires, arrivé la veille avec les pèlerins de Paris, conduit la procession.

Monsieur le curé de Saint-Nicolas de Beaune, l'Abbé Chocarne, en soutane noire et barrette, vient ensuite, portant un siège colossal, don des enfants de la première communion de sa paroisse. Cette lumière, c'est le cierge de la pénitence, c'est la foi de la France, précédant sa prière et ses offrandes.

Derrière lui, la bannière du Comité de l'œuvre représentant la donation du rosaire à Saint-Dominique, est portée tour à tour par le R.P. Chocarne, les Pères Vincent Girard, Martin Didon, Bernard Millon et Jean Maumus, ses fils en Saint-Dominique. Les cordons de la bannière sont tenus par Mme Maurice de Blic, secrétaire du Comité, M. L’Abbé Bailly, le baron de Gravier et M. Joseph de la Bouillerie, député du Maine-et-Loire… Les membres du comité suivent en groupe.

Puis sur trois rangs, s'avancent : à droite, la bannière de Metz, à gauche celle de Nancy au centre les bannières d'Alsace et de Lorraine. L'une d'elles, en velours noir, portée par le baron de Reinach, émeut profondément l'assistance.

300 bannières suivent : portées par les délégués des divers sanctuaires : elles cherchent difficilement une issue dans les rues trop étroites. Plusieurs de ces bannières sont d'une richesse inouïe ; toutes affirment la confiance d'un peuple en sa Divine Reine. Leurs noms présentent en un raccourci émouvant toute la terre de France, depuis les plages de l'Algérie jusqu'aux frontières de la Flandre.

Un remous de curiosité sympathique secoue la foule, se pressant pour mieux voir et saluer des noms aimés… L'ordonnance prévue par les organisateurs paraît un moment compromise et l'Abbé Chocarne craint de voir les chers emblèmes des provinces perdues frustrées du rang plus honorable qui leur fut assigné : « Place ! Place, crie-il d'une voix forte -laissez passer l'Alsace et la Lorraine ! »

Les groupes, secoués d'émotion, s'arrêtent devant ces délégations silencieuses, vêtues de deuil, affirmant par leur présence et leur attitude, la fidélité de l'Alsace-Lorraine à la mère patrie sa confiance en la Vierge…

Entourée d'un respect plus profond, la procession reprend sa route dans l'ordre fixé…

On prie sans lassitude. Autour de leurs bannières, les délégations élèvent spontanément des chants disparates : Magnificat, Regina Coeli,- Ave Maris stella… auxquelles répondent des cantiques populaires… Étrange et surprenant concert !

L'Abbé Chocarne y reconnaît, dans l'identité des sentiments exprimés, une harmonie touchante… La foule crie pardon à Dieu, - elle affirme sa confiance en Marie, et, suivant l'expression de Mgr Dupanloup : - dans les sons qui se heurtent, l'Abbé Victor entend crier les âmes…

Priant et chantant toujours, la procession a traversé la ville, sous un portique ininterrompu de guirlandes et d'oriflammes. Elle arrive à la rampe menant à la chapelle.

Un autre cortège la descend à ce moment, formé de huit évêques en somptueux ornements, précédés de la croix et d'un clergé nombreux. C'est l'église, venant au-devant de la France pour la bénir dans ses représentants.

Chaque bannière passant devant les évêques pour entrer dans l'enceinte de la prairie, salut et se nomme : c'est l'appel de toutes les villes de France, et le défilé dure plus d'une heure. Les évêques sont hors d’eux-mêmes.

À l'une des dernières bannières : celle de Notre-Dame de Prouille, première fondation de Saint-Dominique, ils s’écrient transportés : « B ravo Saint-Dominique et vivent les Dominicains ! »

La bannière de l'Alsace n'est point passée inaperçue.

À la vue de son crêpe et son velours noir, de son inscription discrète et touchante « Spes nostra ! », Mgr de Langalerie, archevêque d'Auch, en saisit la hampe, la serre contre sa poitrine et baise les franges en pleurant…

Un brigadier de gendarmerie placé en faction - alsacien demeuré Français - tombe à genoux devant l'emblème de sa Patrie et répète avec des sanglots : « Alsace !-Alsace ! »

La foule ne contient plus son émotion…

Un grand autel est dressé sur une estrade au milieu de la prairie. La croix prenant la tête de la procession, y conduit les bannières qui lui font une ceinture royale… Mgr de Tarbes s'est avancé pour les bénir solennellement.

Les évêques montés sur l'estrade, y font monter les bannières de l'Alsace et la Lorraine, celle du Comité portée à ce moment par Mme de Blic et le Père Jean Maumus. L'intrépide ouvrière de la Manifestation s'étonne de l'accueil inouï des évêques.

Elle entend à cette place d'honneur un commentaire de l’Ave Marie donné magnifiquement aux pèlerins par Mgr de Langalerie - épanchement d'un saint et un patriote, que la multitude écoute en pleurant. L'archevêque termine en prononçant solennellement au nom du Comité des pèlerins et de toute la France, la formule d'un vœu composé par Mme de Blic :

« O Marie, Vierge Immaculée, nous sommes venus, envoyés de tous les départements de la France vous rappeler que notre peuple est votre peuple… - Nous vous demandons de nous ramener à votre Cher Fils Notre Seigneur ; obtenez pour la France pardon et miséricorde…

Nous promettons de redevenir chrétiens, faisant réparation publique et solennelle des outrages à la divinité de notre bien-aimé Sauveur Jésus-Christ ; nous attestons la foi de la France… Donnez-nous la charité et nous vivrons … refaites la France en nous rendant nos frères. Elle est toujours la Fille aînée de l'Eglise ; elle croit, elle aime, elle prie et vous êtes sa Reine. »

Mme de Blic passait ce jour-là de triomphe en triomphe. Ses impressions du moment nous sont connues ; elles rendent bien la simplicité de son âme : « j'étais confuse, écrira-t-elle à ce sujet, en même temps je me moquais moi-même et contenais avec peine un vrai fou-rire…

- Je ne ris plus et remercie la Sainte Vierge de m'avoir fait travailler à son œuvre. Les pèlerinages n'ont pas cessé depuis. » (Relation à Mme de Waru)

Après la formule du vœu les missionnaires font entendre de belles acclamations composées pour la circonstance et répétées avec élan par la foule.

La bénédiction du Saint-Sacrement ayant terminé la cérémonie, le défilé des bannières recommence ; on les porte à la basilique où elles resteront.

Les arbres de la prairie gênant leur déploiement, les 320 bannières, obligées à un long détour, dessinent bientôt au bord du Gave un demi-cercle glorieux, où les feux du soleil couchant se jouent dans les broderies d'or...

La procession a quitté la prairie et gagne lentement la pente conduisant à la chapelle ; le regard embrasse d'un coup d'œil la forme d'une couronne offerte par la France à sa divine Reine.

La journée s'achève en apothéose… Mais on attend les illuminations, la procession aux flambeaux : la nuit aussi doit être à la Vierge et la foule s'est donné rendez-vous à la Grotte pour la récitation du rosaire, dont les accents retentissent encore à onze heures du soir.

De l'autre côté du Gave, le Père Chocarne et son frère, M.et Mme de Blic et quelques membres du comité brisés de fatigue et d'émotion écoutent, regardent, savourent silencieusement cet incomparable triomphe.

L'Abbé Victor a télégraphié au nom de tous, une adresse au Saint-Père.

« Quelle journée, écrira-t-il lyriquement : ces foules enthousiastes, cette foi vivant et parlant, ces lumières, ces cris, ces discours… Qui nous eût dit, il y a un an que nous verrions une pareille réalisation de l'Idée ? »

Il a conscience, et ses collaborateurs avec lui, d'avoir été dans les mains de la Vierge, les instruments d'une grande œuvre !

 

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La grande fête est terminée, et les hôtes vont repartir. Le triduum s'achève dans l'action de grâces.

Le 7 octobre, à la messe matinale à la Grotte, Mgr d'Agen adresse quelques paroles aux pèlerins et Mgr de la Bouillerie à la grand-messe, parle sur ce texte : « In hoc signo vinces… »

Le soir, le père Didon expose en termes magnifiques les rapports de Marie avec la France.

Le huit au matin, le supérieur des Carmes Déchaussées de Bigorre, prononce le dernier discours des fêtes sur le Salve Regina.

L'évêque de Tarbes bénit encore ceux qui vont partir, et la foule se disperse, emportant, pour la répandre et soulever la France, ce que Mgr d’Agen appelait la veille « le levain de Lourdes », c'est-à-dire la persuasion que la Sainte Vierge nous sauverait en faisant travailler au relèvement et au réveil de la foi. (Livre d'or)

Les guérisons fréquentes pendant la neuvaine préparatoire et le 5 octobre, aurore des fêtes, se sont arrêtés le 6, c'est-à-dire le jour où les pèlerins ont été le plus nombreux, le plus fervents dans leurs prières et leurs communions. Cette apparente anomalie n'est point passée inaperçue, mais la confiance patriotique n'en est point ébranlée, au contraire.

« Le grand miracle a dit l'Abbé Chocarne interprété de tous, c'est la foule avec sa foi, son espérance et sa charité, apparition du divin sur la terre égoïste et mauvaise… Ce spectacle visible à tous, tous les jours en certaines âmes, devient une merveille s'il revêt, comme à Lourdes, l'éclat, les proportions d'un acte national. »

« Le 6 octobre, toutes les prières étaient pour la France. La Sainte Vierge, paraissant oublier ce jour-là les autres suppliques, réservait sa puissance pour le salut du pays. » (Mes opuscules)

 

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Au lendemain des fêtes, le Comité de Pernand s'est dispersé à Lourdes ; chacun retourna à son devoir.

Le Père Chocarne, son frère et Mme de Blic se retrouveront le 24 octobre à Fontaine-les-Dijon berceau de Saint-Bernard, le dévot de Marie.

L'image du grand moine bourguignon leur rappelant une autre figure bien chère - celle du Père Lacordaire, restaurateur en France de la vie religieuse - ils implorent la faveur d'être toujours prêts à servir Dieu et Saint-Dominique à leurs places respectives, comme Saint-Bernard et le Père Lacordaire eussent voulu faire… Encore sous l'impression des dons reçus, Mme de Blic poursuit : « Je me sentais bien indigne des dons reçus, mais sachant que Dieu ne mesure pas sa grâce à nos mérites, et se sert des plus mauvais instruments, je pensais à sa bonté, - non à ce que j'étais…

En descendant de la montagne, je priai le Père Chocarne de bénir une bague de ma jeunesse à laquelle mon mari a fait ajouter un diamant ; je voulais que ma vie fût à Dieu dans l'avenir ; comme elle avait été à Lui dans le passé, non selon mes pensées, mais selon les siennes. » (Souvenirs de Mme de Blic)

 

 

 

Sous le manteau de la vierge - « dominica pour toujours »

 

Au lendemain de sa Vêture -13 novembre 1871- Mme de Blic proclamait dans cette formule son attachement profond à l'Ordre de Saint-Dominique.

Le temps est venu pour elle de prendre des engagements et le Père Chocarne souvent sollicité l'appelle à Dijon le 21 novembre, fête de la présentation de la Vierge, anniversaire du Père Lacordaire.

L'Abbé Chocarne et Marie de Saint Juan, dont l'influence n'est pas étrangère à la vocation dominicaine de sa cousine, sont venus de Beaune et Besançon témoigner leur sympathie fraternelle.

L'émotion a réveillé sœur Dominica dès trois heures du matin, et l'attente lui paraît longue. Levée de bonne heure, elle se rend à la chapelle des dominicaines avec sa cousine, se préparer par la confession aux grâces de ce séjour.

Le Père Chocarne lui rappelle son enthousiasme de l'année précédente au jour de sa vêture… « Ce serment, vous ne voulez pas le reprendre, vous y serez fidèle ? - Si l'église, dans sa prévoyance, ne vous demande pas un vœu, votre vocation de tertiaire n'en est pas une vocation religieuse, c'est la volonté absolue de se donner à Dieu, corps et âme, jusqu'aux dernières fibres : religieuse, vous êtes liée à Dieu, comme le nom l'indique… » (Carnets intimes)

- Mme de Blic nous a fait connaître l'écho éveillé par cette exhortation dans son âme.

L'Abbé Chocarne célèbre sa messe et son frère la sienne à laquelle communie la nouvelle Professe… Après l'action de grâces, le provincial vient à l'autel de Saint-Dominique recevoir ses engagements.

« Le curé et Marie sont derrière moi, détaille son récit. Le père m'explique ce que l'Ordre me donne et ce qu’il attend de moi. - Son allocution évoque les Saints qui m'accueillent dans leur famille : Saint-Dominique le premier… Et ceux que j'aime davantage ; le Père Lacordaire qui nous a quittés à pareil jour… Enfin le groupe de martyrs, les Pères Captier, Bourard et les autres avec leur devise : « Allons pour le Bon Dieu ! » - J'éprouve une émotion comparable aux plus vives de ma vie, et telle que j'en résumerais difficilement les impressions. »

Le Père finit en me disant : « que la racine de la sainteté soit en vous, et que cette racine soit Dieu lui-même. »

-« Je prononçai mon acte de profession. - Le curé et Marie pleuraient ; le Père était ému ! - Moi… Je ne pleurais pas ! Je savoure cette union avec mon Ordre et je me sens enfin sous le manteau de la Sainte Vierge. » (Carnets intimes)

 

L'émotion en cette vaillante ne se manifeste point par des larmes, et le Père Chocarne connaît bien les cordes à faire vibrer. Il lui donne au parloir une médaille du Père Lacordaire marquée à son chiffre, mais surtout il lui raconte comment la Sainte Vierge bénit l'Ordre en ce moment…

Le Père Jandel a donné au Provincial de France des témoignages d'évidente satisfaction, la récente fondation de Lille réussit au-delà des espérances conçues, Flavigny est plein de promesses…

« Il est sûr que je ne m'y épargnerai pas. » atteste Mme de Blic chargée de trouver les ressources pour les réparations projetées et pour le Noviciat…

- Le Père ne dissimule pas qu’en toutes ces grâces, Lourdes est pour quelque chose : en servant l'Immaculée, Mme de Blic a travaillé pour son Ordre !

La nouvelle professe ne contient plus sa joie. « Tout cela est si fort au-dessus de ce que j'ai rêvé s’écrie-t-elle ! Mon âme trop dilatée ne tient plus à l'aise dans sa prison ! Que sera donc le ciel où notre allégresse ira toujours croissant ? » (Carnets intimes)

Au soir de ce jour Mme de Blic regagne Beaune et Pernand, accompagnée du Père Chocarne et du curé. Longtemps encore le petit carnet, son confident, enregistre les échos de sa joie, tous les jours plus approfondie. Dès le lendemain, elle écrit : « C’est fait : je suis dominicaine ! J'ai le droit de les aimer, de les défendre, de les servir, de faire pour eux ce que Marie et Marthe faisaient pour Jésus ! Voilà ma famille, et le but de ma vie.

Que je ne résiste jamais à la volonté de Dieu, c'est ma prière d'aujourd'hui, mais que je leur serve dans l'ombre !

À Lourdes, j'ai goûté la gloire, cela glisse ; - mais le bonheur d'être utile à ceux qu'on aime, mon Jésus le sachant, c'est la vie… »

Elle met en parallèle dans son souvenir, ses joies triomphales du pèlerinage et celle de sa profession. Pourquoi ce dernier bonheur lui semble-t-il plus profond ?

-La réponse vient :

J'ai trouvé pourquoi Lourdes m'a moins émue que la conversion d’Adine et mon bonheur d'hier ! - À Lourdes, j'étais Marthe et ce n'est pas la meilleure part ; c'est l'autre que j'aime… Écouter Jésus dans l’âme d’Adine ou dans la mienne, dans l’âme de la France, oui ! - Mais cela c'est pour le Père ou le Curé : Je ne suis que la Pétrisseuse » !

Sans doute, mais pétrisseuse active et dévouée, qui prépare et cuit dans la Maison de Dieu le bon pain des œuvres… Le sens de sa vocation dominicaine lui permet de comprendre Marie et l’attrait de cet appel plus mystique sanctifie son activité. Mais dans l'ensemble elle est surtout et restera - malgré les efforts du Père Chocarne pour l'amener à plus de profondeur - Marthe la dévouée !

Au moment de tourner la dernière page de l'année finissante elle s’écrie :

« Voilà 1872 passé, la plus belle année de ma vie peut-être ? Les épreuves y furent les peines inséparables de l'existence, et la bénédiction de Lourdes plane sur toute l'année et sur le reste de ma vie. Je n'ai pas eu de souffrances d'âme mais au contraire des consolations pour lesquelles mon remerciement devrait être continuel : l'union plus grande avec mon mari, les grâces de ma profession, la France qui semble revivre et relever la tête.

Que Dieu efface nos fautes, et que mon Bon Ange remercie pour moi ! »

 

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Le Grand pelegrinagier chez le pape

 

 

Les échos de la Manifestation d’octobre bruissaient encore. La France y avait témoigné de sa foi avec une ardeur impressionnante pour les catholiques eux-mêmes ; ils reprenaient conscience de leur force, et le récit des fêtes, répandu par les mille voix de la presse ranimait les cœurs et donnait confiance.

Pie IX n'avait pu rester indifférent au réveil religieux d'un pays à peine échappé aux affres de la commune et s’en entretenait volontiers. Entendant un jour parler du rosaire porté à Lourdes comme insigne, par les pèlerins autour de la ceinture, il témoigna au cardinal Pitra, son désir de le voir.

Le Prélat, dont les bons offices s'étaient maintes fois exercés en faveur du Comité, se hâta d’en écrire à Mme de Blic : le Saint-Père daignerait accepter un rosaire du Lourdes qui lui serait offert.

L’active secrétaire n’eut pas d'hésitation : « nous ne pouvons envoyer ce chapelet ou Pape, dit-elle au Curé de Saint-Nicolas en lui communiquant la lettre du cardinal Pitra, vous-même devez aller le lui offrir au nom du Comité… »

Et le curé montrant un peu d'étonnement, d'un mot elle coupa court à ses hésitations : « Comme promoteur de la Manifestation, cette démarche vous revient de droit, et vous la devez bien au Pape, dont les encouragements ont tellement contribué au succès de notre œuvre. »

L'Abbé Chocarne s’inclina.

Après un rapide voyage avec arrêt à Florence, pour y visiter le vieux couvent dominicain de Saint-Marc et les fresques de l’Angelico, il arrivait à Rome, avec sa sœur, dans la soirée du 12 février 1873. Pour tout autre c’eut été l'heure de se mettre au lit, mais le seul nom de la ville des Papes éveillait en lui trop d'émotions… Sous un magnifique clair de lune, il courut au Colysée, et, prosterné sur la poussière arrosée du sang des Martyrs, au pied de la grande croix dressée au milieu de l’arène, il pria Dieu de lui accorder le don de force.

Les jours suivants, il célébra sa messe sur le tombeau de Sainte Catherine de Sienne ou celui de Sainte Monique pour sa paroisse ou pour sa mère ; à Saint-Paul, à Saint-Pierre, tous les grands souvenirs raniment sa fraîcheur d'impression…

Le jour fixé pour son audience arrive enfin… Le jeudi 20 février, la voiture du cardinal Pitra vient le prendre à l’hôtel avec les objets qu’il a mission de déposer en témoignage de reconnaissance aux pieds du Saint-Père au nom du Comité.

En montant le grand escalier de marbre du Vatican et traversant la salle du trône, son cœur se serre étrangement, pauvre petit curé, il va donc voir le Pape !

À la suite du cardinal Pitra, son introducteur, il entre précédé d'un camérier, dans le cabinet particulier du Saint-Père. - Celui-ci est debout, appuyé contre sa table de travail, et regarde le bon curé faire, un peu gauchement, les trois prostrations d'usage, embarrassé dans son grand manteau de cérémonie, les bras chargés de boîtes et bibelots divers… L'Auguste Visage s'éclaire d'un sourire : « ah le voilà le Grand Pèlegrinagier » dit Sa Sainteté avec bonhomie.

Le cœur de l'Abbé Victor se lance vers ce Père si accueillant, mais les prostrations d'étiquette retiennent son élan.

Allons, venez, venez, grand faiseur de Pèlerinage » insiste Pie IX.

L'Abbé Chocarne est à ses pieds… Impatient de voir ce qu'il désire, le Saint-Père demande le rosaire de Lourdes envoyé par le Comité. L'Abbé Victor ouvre l’écrin et Sa Sainteté essaie un jeu de mots sur ce nom de chapelet peu usité en Italie : « voyons, le capell… Le chapelet… Petit chapeau… »

Le rosaire est dans les mains du Pape, monté sur or, le plus beau qu'on ait pu trouver… «  Ah, dit Pie IX, le gros chapelet ! »

Qu'est-ce qui a fait cela ? »

Très Saint-Père, ce sont les pâtres des montagnes du Lourdes. »

Montrant la croix d'or suspendue à l'extrémité du rosaire, Pie IX objecte finement : « Est-ce qu'ils font aussi cela…,»

Très Saint-Père, les dames du Comité ont eu la pensée d'adjoindre cette croix pour rendre l'objet moins indigne d'être offert à Votre Sainteté. »

Remerciez bien de ma part, ces « dames » du comité, dit le Pape satisfait… - Il parcourut des yeux en s’extasiant, la lettre sur parchemin, enluminée et illustrée de vignettes gothiques, accompagnant le présent.

Pour remplir jusqu'au bout sa mission, l'Abbé Chocarne présente maintenant un volume magnifiquement relié en marocain blanc aux armes de Pie IX. C'est le récit des grandes fêtes de la Manifestation, rédigé par le père Gérard, dominicain de Paris, et publié par les soins du Comité. Ouvrant le livre, le Pape lit le titre qui lui arrache un soupir : « la France à Lourdes ». « Hélas, la France n'était pas toute à Lourdes ! »

L'Abbé Chocarne s'écrie : « Très Saint-Père, la France catholique y était bien tout entière par le cœur et par ses délégués au nombre de cent mille ! »

Pauvre France, continue Pie IX attristé, Dieu veuille la sauver ! »

Le cardinal Pitra, présent à l'entretien, engage le curé à donner des détails au Pape sur la grande Manifestation du 6 octobre, et l'Abbé Victor laisse parler son cœur… Bientôt un camérier introduit un autre personnage entrevu au passage dans la salle du Trône, l’heure est venue de l'audience suivante.

Le cardinal Pitra demande au Saint-Père la permission de lui prendre sa calotte blanche pour l'offrir à Mme de Blic :

« A vous, je veux aussi donner un petit souvenir » dit le Pape à son visiteur. Et prenant sur son bureau une médaille d'argent à son effigie : « Tenez, lui dit-il, le portrait du Saint-Père ! »

L'Abbé Victor est à genoux pour recevoir la bénédiction du Pontife et le remercier encore. Mais il ne se relève pas encore : « Très Saint-Père, dit-il avec confiance, oserai-je vous demander une seconde et toute spéciale bénédiction pour une petite œuvre que j'ai fondée sous le patronage de Sainte Catherine de Sienne, en faveur des prisonniers repentants ? » - « J'ai pensé que l'Auguste Prisonnier de Vatican serait sympathique à cette œuvre ? »

Oui, dit Pie IX avec un sourire bienveillant : je suis prisonnier, mais pas repentant. »

Sa main se lève bénissante, sur le prêtre comblé de joie.

Le soir même l'Abbé Chocarne quittait Rome pour rentrer dans sa paroisse, non sans quelques arrêts sur le chemin du retour !

L’audience pontificale s'était terminée un peu brusquement, mais le Pape avait témoigné au « Grand Pèlegrinagier» intérêt et satisfaction.

Le cardinal Pitra n'avait pas attendu les fêtes de Lourdes pour engager les zélatrices à considérer la Manifestation prochaine « comme un essai » et la préparation d'un second pèlerinage, plus solennel encore. (Le cardinal Pitra à Mme de Blic-25 août 1872)

… On croirait difficilement qu'après le succès triomphal de « l'essai » le Prélat n'ait pas encouragé chez l'Abbé Chocarne le projet d'un recommencement, assuré désormais de la bienveillance du Pape.

En tout cas le Promoteur de la Manifestation gardait au cœur la mystérieuse inspiration reçue en octobre 1871 à l'autel de Marie. Le succès obtenu n'était-il pas une invitation pour l'avenir ?

De tous côtés des offres étaient adressées dans ce sens à Mme de Blic, peu disposée à les accueillir. Elle avait été suivie une première fois, le serait-elle toujours ? - Au lieu de courir le risque d'un échec ou d’un moindre succès, ne valait-il pas mieux rester sur le triomphe du 6 octobre, en attendant le retour de l'Alsace-Lorraine à la France et le pèlerinage d'action de grâces ?

L'Abbé Chocarne craignant de voir en ce raisonnement une prudence trop humaine, soumit le cas à son frère.

Mais le Père Chocarne n'avait pas reçu lui-même l'inspiration directe de l'Immaculée. Il répondit : « au risque d'être encore un prudent selon la chair, je suis de l'avis de Mme de Blic ; il faut attendre que la Sainte Vierge vous ait rendu l'Alsace avant de recommencer une grande manifestation. Ces choses-là ne sont bonnes qu'à la condition de répondre à un sentiment vrai. Autrement c'est du réchauffé, et ça rate. »

L'Abbé Chocarne est trop humble pour s’entêter contre l'avis de ses collaborateurs. Lourdes restera - il aime à le redire - « sa joie, son espérance, son salut » mais il ne parlera plus d'y conduire une autre Manifestation.

Son désintéressement et celui de Mme de Blic, bien avérés, le Comité de Notre-Dame de Salut se substituant à eux conviera les divers diocèses de France aux roches de Massabielle. C'est l'origine du pèlerinage national, exode annuel de tout un peuple aux pieds de sa Souveraine, en l'Octave de l'Assomption.

 

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L'Ordre de Saint-Dominique est-il par-là dépossédé de la mission confiée par l’Immaculé à l'Abbé Chocarne ?

Les dons de Dieu sont sans repentance… En 1908, 50e anniversaire des jours où la Vierge égrenait son chapelet avec Bernadette, un autre fils de Saint-Dominique, le Père Vayssières, appartenant à la province du midi, est vivement inspiré d'appeler à Lourdes les associés du rosaire. Son appel est suivi avec un élan attestant la bénédiction de la Vierge Immaculée sur la tradition qui s'organise. Ce pèlerinage annuel, d'abord régional, s’appela tout court « le Pèlerinage français du Rosaire », quand les trois provinces dominicaines de France conjuguant leur effort, amèneront à leur Reine, dans les premiers jours d'octobre - un millier de malades, des rosaristes de toutes les régions… Pèlerinage si nombreux, si fervent, que le peuple l’appela d'instinct : « Le National d'Octobre » !

C'est l’héritier authentique du beau mouvement marial suscité en 1872 par les Pères Chocarne et Mme de Blic !

 

Les suites de la manifestation

 

Quand Pierre L’Ermite et le Pape Urbain II lancèrent les Croisades, le monde chrétien resta pendant des siècles selon l'empire d'un enthousiasme appelé par les contemporains « la douce soif du Saint Pèlerinage »…

Nous avons vu, dira l'Abbé Chocarne, les hommes de notre temps pris de la même « douce soif ! »

L'année 1872 avait inauguré le mouvement. La froide saison l'interrompit à peine… Les aubergistes de Lourdes demandaient grâce : cela continuait toujours…

« Après avoir promené leurs bannières sur tous les chemins de fer étonnés du spectacle, les avoirs suspendues aux voûtes, trophées des victoires de la foi sur le respect humain, les catholiques réveillèrent un peu partout les échos endormis des vieux pèlerinages… Alors ressuscitèrent à l'envie les pieuses manifestations si chères à nos pères, les dévotions populaires des plus humbles villages. » (Mes opuscules)

La Mère conduit les âmes à son Fils : le pèlerinage de Paray-le-Monial devait être, et fut en effet, le complément obligatoire de la Manifestation nationale du 6 octobre : après avoir prié l'Immaculée, la France éprouvait le besoin de répondre à l'amour prévenant du Sauveur…

Sollicité de s'associer au pèlerinage de Paray, le Comité de Lourdes ne se dérobe point. Le 17 juin 1873, fête du Sacré-Cœur il était au rendez-vous.

Fête magnifique où la nation se retrouvait groupée en ses plus nobles représentants ; les bannières encore endeuillées d'Alsace-Lorraine avoisinant l'étendard de Jeanne-d‘Arc et Oriflamme des Zouaves de Patay. Les communions furent si nombreuses, les champs si pieux que les yeux s'emplissaient de larmes…

Venu avec le pèlerinage d'Orléans, l'Abbé Bougaud, historiographe de Marguerite-Marie, rencontrant l'Abbé Chocarne son ami, lui pressa fortement la main : « c'est beau, fit-il ému ! » - Vous pouvez prendre part à notre fierté commune : sans vous, sans les fêtes de Lourdes, nous ne serions pas ici aujourd'hui. »

Il disait vrai : en conduisant la France à Lourdes, l'Abbé Chocarne « Grand Pèlerin» comme le lui avait dit Pie IX avait rendu à son pays, le goût de la prière publique, avec l’attrait des lieux bénis ou la grâce est plus abondante…

 

L'inauguration des orgues

 

La Manifestation de 1872 devait avoir son nécessaire complément.

Les orgues promises par le Comité au nom de la France n'avaient pas été prêtes pour octobre 1872 ; elles furent livrées par la maison Cavalier Coll l'été suivant, pour être inaugurées en la fête de la Nativité la Vierge, 8 septembre 1873.

Il n'était pas question de provoquer un mouvement national à cette occasion, mais les donateurs avaient le droit de faire la solennelle offrande. De nombreux pèlerins s'étaient donné rendez-vous à Lourdes pour la Nativité, les membres du Comité s’y trouvaient pour la plupart.

La parole de M. l’Abbé Laprie, de Bordeaux, prépara les âmes plusieurs jours à l'avance, et le T.R.P. Chocarne devait terminer la série des prédications par un discours en plein air, très attendu. La pluie survenant, vint enclore toute la cérémonie à la chapelle, comme si la Vierge eût voulu davantage mettre les orgues à l'honneur ce jour-là.

Il convenait pour les générations futures d’établir leurs origines, et cette inscription fut placée sur la boiserie :

« Orgues de Notre-Dame de Lourdes,

offertes par la manifestation de foi et d’espérance de la France

le 6 octobre 1872, en la fête du saint rosaire.

Inaugurées le 8 septembre 1873 »

Sur le panneau principal de la tribune, ces paroles de l'illustre Pape Benoît XIV clamant la confiance et la joie générales :

«Regnum Galliae,

Regnum Mariae

Nunquam peribit

Semper cantabo . Amen ! »

 

M. Widor, organiste déjà réputé de Saint-Sulpice de Paris, et M. Etcheverry, organiste de Bordeaux éveillent avec un talent remarquable l’âme du royal instrument…

- Quand se tait la voix musicale, le T. R. P. Chocarne se faisant entendre à son tour, rappelle les efforts de la France pour répondre aux espérances de résurrection patriotique des pèlerins du 6 octobre de l'année précédente. On a prié ardemment et la grâce implorée se fait attendre… ?

C'est que la vierge apparaissant à Lourdes n'a pas seulement demandé des processions ; l’écho de Massabielle répète un autre mot : Pénitence ! Pénitence… Pour sauver la France, il faut joindre à la prière la souffrance expiatrice, en union avec Celui qui sauva le monde en mourant pour tous.

L’auditoire vibre à cette exhortation appuyée par le grand air du prédicateur, son froc monastique… C'est mieux qu'un mouvement oratoire : la semence d'une œuvre appelée à produire d'admirables fruits. L'Abbé Chocarne et Mme de Blic emporteront ce germe dans leur cœur.

 

 

Le chapitre des comptes

 

 

Les chiffres parlent avec une autorité indiscutable. Avant de quitter Lourdes, la baronne de Gravier, trésorière du Comité, établit pour les Missionnaires de la Grotte le relevé des sommes passées entre ses mains.

Ce compte rendu nous a conservé le nombre d'adhésions signées à la manifestation. Il s'élève à 332 071.

De mai à octobre 1872, le passage à Lourdes de 370 000 pèlerins ayant été constaté, d'autre part, l'addition de ces deux chiffres nous donne le total impressionnant de 702 071 adhérents à la Manifestation.

C'est une armée - et quelle armée ! - levée à la voix des ardents promoteurs. Les soldats de cette armée inscrits par le Comité, ont laissé leur obole au passage entre les mains de la trésorière, et cela permet à Mme de Gravier d’établir une balance très instructive.

Les recettes ont atteint la somme - considérable pour l'époque - de 112 505,95 fr.

Le Comité a payé les orgues - 50 000 fr. – dédommagé les prédicateurs, soldé maints déplacements et frais divers relatifs aux fêtes… Et le reliquat est de 25 000 fr. !

Quel emploi lui donner ?

D'accord avec les Missionnaires de la Grotte, le Comité décide d'attribuer cet excédent de recette au monument qu'on se proposait dès lors d’ériger en l'honneur du rosaire, sans savoir encore quelle destination précise lui donner.

L'affluence croissante des pèlerins porte en effet à désirer un lieu de prières, et l’on finira par s'arrêter à la construction d'une église faisant corps avec la chapelle : l'offrande du comité sera en quelque sorte la première pierre de ce temple, véritable poème en l'honneur de la dévotion dont il porte le nom. Le don de rosaire au Patriarche Dominique est sculpté sur la façade dans le tympan majeur, et les quinze mystères sont inscrits aux quinze autels intérieurs qui leur sont dédiés.

Mgr Langénieux, alors évêque de Lourdes et futur archevêque de Reims, en fera remettre les plans et dessins à Mme de Blic « en hommage à son zèle et pour s'assurer son fidèle concours » (Monseigneur Langénieux à Mme de Blic, 22 janvier 1875)

Quand sera décidé dans son magnifique ensemble, le groupe des monuments, le Supérieur des Missionnaires enverra l'album du rosaire de Notre-Dame de Lourdes à Mme de Blic et au Compagnon de ses glorieux travaux pour la Vierge Immaculée, disant « vous avez posé la première pierre de cet édifice monumental, nous continuerons à prier la Vierge Immaculée de vous rendre le centuple… » (Le père Sempé à Mme de Blic -5 mars 1875)

Le Père Sempé parle ici au figuré ; les Promoteurs de la Manifestation ont « fourni » plutôt que « posé » cette première pierre, réellement mise en place et bénite en dehors de leur présence, le 16 juillet 1883.

À cette occasion, l'Abbé Chocarne, démêlant d'un œil averti, les liens mystérieux par lesquels les œuvres du salut s'enchaînent l'une à l'autre écrira : « cette même année 1883, notre Saint-Père le Pape Léon XIII, à trois reprises différentes, a demandé au monde chrétien de s'adresser avec une entière confiance à Notre-Dame du Rosaire. « Le rosaire, a-t-il dit, sera toujours l'arme victorieuse des grands combats »

« La Vierge Immaculée, apparaissant à Bernadette le rosaire à la main, dans les mêmes régions où Saint-Dominique l’avait institué sous son inspiration, voulait rajeunir cette antique dévotion ; - le Pape confirmait cette pensée de sa haute autorité. Il est donc permis d'espérer que Marie triomphera de l'impiété… - Heureux serons-nous d'avoir, si faiblement que ce soit - apporté notre concours à cette œuvre… »

(Mes opuscules)

Ce que l'Abbé Victor modeste ne dit pas, c'est qu’en cette année 1883, l'Immaculée dont il est toujours le confident, lui a suggéré, comme au Saint-Père, de consacrer le mois d'octobre au culte de Notre-Dame du Rosaire… Si bien que le 1er septembre, quand paraît l'encyclique « Supremi Apostolatus » la petite église Saint-Nicolas de Beaune s'apprête déjà pour une fête de Rosaire sans précédent, que Notre-Dame de Lourdes viendra présider elle-même ! ! !

 

 

Le livre d'or

 

Les touchantes coïncidences où la Vierge le traita en fils privilégié, ne passent point Inaperçues pour l'Abbé Chocarne ; il les relève avec amour…

Entre autres, sa présence providentielle à Lourdes le 6 octobre 1878, jour où s'inaugure à la Basilique la Confrérie du Rosaire.

Il venait avec Mme de Blic, déposer aux pieds de la Vierge le livre d'or de la manifestation de foi et d'espérance de la France du 6 octobre 1872

Mme de Blic, d'accord avec son « Cher Comité » en avait écrit l’histoire, depuis l'inspiration reçue par l'Abbé Victor, jusqu’aux jours de l'apothéose d’octobre 1872.

Le récit a pour titre « comment l'Immaculée Conception a voulu des processions aux roches Massabielle et comment s'y est pris Notre-Dame pour réunir à Lourdes le 6 octobre 1872, en la fête du Saint Rosaire, les Ambassadeurs de toutes nos Provinces, pour demander miséricorde, et témoigner de la foi et l'espérance de la France en sa divine Reine, Marie Immaculée, mère de Notre Seigneur Jésus-Christ, la priant très humblement de sauver son royaume des angoisses et des maux de 1870-1871 ».

C'était une narration en termes concis, racontant les efforts, les émotions, les joies des Promoteurs.

Les armes des villes, des provinces, des sanctuaires, des collectivités religieuses associées à la Manifestation, le blason du Saint-Père et des Prélats qui l’avaient encouragée et bénie, ceux des Ordres religieux auxquels appartenaient les Prédicateurs, ceux encore des membres du Comité d'initiative ou de propagande, des bienfaiteurs insignes de l'entreprise, illustraient en couleur, le texte sur parchemin superbement calligraphié.

L'ouvrage avait demandé six ans de labeurs assidus et d’efforts artistiques à la femme de goût l’ayant réalisé sous la direction de Mme de Blic, (c'était Mlle Anne Françoise Sarrazin (de Besançon) sœur de la belle-mère de T.R.P. Alix)

Les pages écrites, enluminées, avaient reçu à Paris dans une grande maison de reliure d'art, la couverture appropriée et le Père Chocarne avait présenté le chef-d’œuvre à l'admiration du Vicaire Général de son Ordre, le Révérendissime Père Sanvito, pendant la visite des couvents de Paris.

Une œuvre aussi remarquable devait nécessairement être offerte à la Vierge par les ouvriers de ses miséricordes à son peuple de France…

En cette année 1878, la fête du Rosaire, comme six ans plus tôt, tombait le 6 octobre, anniversaire exact de la Manifestation…

L’Abbé Chocarne et Mme de Blic l'ayant remarqué, arrivèrent à Lourdes le 5 octobre, veille de la fête, précisément choisie pour ériger la Confrérie du Saint Rosaire.

Les souvenirs de la grande Manifestation étaient encore dans toute leur fraîcheur, et l'Abbé Chocarne fut invité à présider l'office des premières Vêpres, comme si la Vierge ne voulait pas laisser passer inaperçue sa présence dans les lieux auxquels il avait apporté tant de lustre…

Le lendemain une belle procession devait se dérouler en l'honneur de Rosaire. L’Abbé Chocarne et Mme de Blic y portèrent tour à tour la bannière du Comité de la grande Manifestation exceptionnellement descendue de la voûte… Ils revivaient dans leur âme les souvenirs inoubliables du 6 octobre 1872, mesurant avec une intense émotion à la vue du concours grandissant des fidèles, l'élan de ferveur mariale issu de leurs travaux.

Ce jour-là peut-être, l'Abbé Chocarne écrivit sur une grande photographie de la Grotte, offerte à Mme de Blic, ces lignes marquant exactement leurs rôles respectifs :

«Smile est regnum coelorum fermento quod acceptum mulier abscondit in farinae satis tribus donec fermentatum est totum. (Math. XIII – 33)

« De ce Royaume des Cieux du 6 octobre 1872, si j'ai fourni le levain, vous avez pétri de vos mains infatigables d'innombrables boisseaux de farine et la fermentation s'est mise dans la masse par la volonté de Dieu - Sit Nomen Domini benedictum ! »

Ce texte scripturaire rend bien incomplètement encore, la pensée des amis de Lourdes, sur le rôle des Promoteurs de la Manifestation de foi et d'espérance. Mgr Peyramale étant allé prier à la Grotte « pour les bienfaiteurs de la Vierge et les siens » n'avait-il pas écrit à Mme de Blic : « A ce double titre, votre nom devait se présenter un des premiers à mon esprit. Vous avez organisé en l'honneur de la Reine du Ciel une Manifestation comme on n'en avait jamais vu et comme on n'en verra jamais… J'ai demandé à la Vierge Immaculée de vous rendre au centuple tous ces honneurs et tous ces bienfaits… Les noms de Blic et de Chocarne vivront jamais dans ces contrées ; ils sont gravés en caractères ineffaçables par la piété et l'éloquence » (12 janvier 1873)

Mgr Peyramale s'exprime avec la noblesse et la droiture d'un cœur reconnaissant, mais il n'est pas sur la terre de « caractères ineffaçables » !

- A la vérité, une plaque avait été posée à l'autel du Rosaire de la Basilique, rappelant comme suit les origines des grands pèlerinages : « Monsieur l'Abbé Chocarne, Curé de Beaune, en célébrant la messe, eut l'heureuse pensée de la Manifestation nationale, dont Mme de Blic a été l'ouvrière intelligente et dévouée. » (Guide de Lourdes-Barbet)

En ces dernières années, une parente de Mme de Blic demandait aux archives de la Basilique à revoir le Livre d'Or, dont le souvenir est conservé dans la famille ; elle apprit qu'il avait disparu à l'époque des inventaires…

L'Abbé Chocarne et Mme de Blic paraissent entrés dans l'oubli ?

Mais de jour en jour s'avère plus magnifique et bienfaisante, la mission que la Vierge leur avait confiée. - En ce Lourdes dont ils ont montré le chemin à la France, la gloire de l'Immaculée rayonne, toujours plus éclatante.

Ainsi les œuvres de Dieu, toutes petites à l'origine, se développent sous l'action du ferment divin déposé dans leur germe. - On comprend la conclusion donnée par l'Abbé Chocarne à ses souvenirs sur Lourdes :

 

 

« J’ai besoin de dire : merci mon Dieu, mille fois merci.

Chère France relève la tête…

Église de Jésus-Christ réjouis-toi…

Mes yeux ont vu sous cette terre des prodiges innombrables, inouïs, mais le plus grand de tous est ce réveil des Manifestations de la foi. J'ai entendu des grands discours et des chants de triomphes inoubliables… Eh bien ! À Lourdes, j'ai vu et je n'en crois pas mes yeux, j'ai entendu et je n'en crois pas mes oreilles,

j'ai senti et j'en crois mon cœur. »

 

« A Toi pour toujours, O Marie,

A Toi mon cœur en ce refrain,

T’aimer, Te servir pour la vie

C'est le vœu de ton pèlerin ! »

 

(Clôture de « mes opuscules »)

 

 

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